« Quotas de migrants : la proposition de Bruxelles passe mal » peut-on lire ce soir 13 mai 2015
Comme souvent en Occident les problèmes sont abordés et traités à l’envers. Plutôt que ces émigrations subies, pourquoi pas le contraire, un mouvement inverse, mais volontaire ? Le «Retour» proposé en 2005 par Trevor Narg, dans son anticipation « 5021, l’autre monde » :
« …Pour des raisons économiques les plus pauvres furent les plus touchés, la population et la vitalité de l’Afrique en premier. D’autres causes concouraient à affaiblir ce continent, riche pourtant de sa nature et de ses cultures ancestrales, encore vivaces en dépit des incursions civilisatrices devenues dévastatrices. Mondialisation économique, conflits, rivalités ethniques, tracé de frontières arbitraires, exploitation étrangère des richesses naturelles, commerce et trafic d’armes, d’âmes aussi.
Avec force détails, certains savoureux, Léa raconte à Lucas comment, lors d’un de leurs sommets périodiques, les ‘grands du monde’ qui représentaient les pays riches, certains concernés voire à l’origine de ces problèmes, décidèrent de contribuer à une campagne internationale intitulée ‘Sauver l’Afrique’. Thème qui ne pouvait que susciter l’approbation, d’ailleurs unanime. L’un d’eux suggéra l’aide substantielle au retour de ceux de ses compatriotes d’origine africaine qui en manifesteraient le désir. Idée reprise par tous. Assez de mots. Des actes. De l’argent. Une idée qui fit son chemin.
- Véritable vague de solidarité portée par les perspectives de ce projet généreux, les associations pour le Retour se multiplièrent. Et finalement, ensemble auprès de l’Union Africaine, les pays du Nord s’engagèrent solennellement à aider leurs nationaux candidats au ‘rapatriement’. Garantie du maintien de leurs acquis sociaux et environnementaux, indexé à vie, pour tous, adultes et enfants vivants. Résultat de discussions multinationales, surenchères et valorisation d’images, garanties irrévocables, entérinées par les plus hautes instances financières internationales et nationales. Modestes, les premiers départs furent salués et médiatisés, beaucoup moins l’engouement progressif et le déferlement qui suivirent. Certains chefs d’États africains qui avaient accueilli le projet avec une réticence ignorée lors de sa mise au point, tentèrent de freiner le mouvement. Toutes interventions en ce sens provoquaient au contraire de nouveaux afflux. Les premiers arrivants, qui n’en espéraient pas tant pour la plupart, se découvraient dans des pays enchanteurs avec des moyens considérables localement. Cela se savait. Aucun regret, ni pour le froid confortable, ni pour la violence aseptisée du Nord.
- Pour ceux qui ne connaissaient pas l’Afrique, mais pour les autres?
se hasarde Lucas.
- Pour tous, un retour aux sources, ignorées jusque-là ou oubliées pour beaucoup, où l’émotion néanmoins fit vite place aux affaires, installation et équipements étant pris en charge dans le Retour. Un continent pris de vertige, prêt à basculer. Les plus concernés, les pays longtemps fragilisés par les ingérences, les conflits et la pauvreté. De nouveaux moyens et la perspective d’un boum économique, l’afflux de capitaux et d’entreprises multinationales des payeurs ne tarda pas. L’Union Africaine face à ces opportunités resta divisée dans un premier temps. Poursuivre dans le sillage d’une mondialisation qui l’a ruinée ou en sortir? Le clivage eut le mérite de poser la question, d’obliger à choisir. Forgée dans la contestation des régimes en place depuis les indépendances et souvent tenue à l’écart jusque-là, la nouvelle génération l’emporta de justesse, à la surprise générale. Nouveau mode de développement, africanisation, création de l’Afro, nouvelles priorités... Mais le principe de souveraineté permit çà et là d’organiser la division et l’opposition aux changements. L’intervention du Nord aidant, pas d’entrave au commerce international, sinon plus d’accord ! Rien de tel pour créer en réaction de nouveaux dialogues, de nouvelles prises de conscience, un nouveau conformisme même. Choisir entre l’influence étrangère et l’aventure africaine, entre le passé et l’avenir. Avec ses risques.
- On avait parlé de la générosité des pays donateurs, moins des arrières-pensées. De la domination sur fond d’histoire et d’exclusion, depuis longtemps, la civilisation, la colonisation... Exacerbées une quinzaine d’années plus tôt, l’entrée fracassante dans le troisième millénaire, mondialisation et tensions internationales, Proche et Moyen-Orients, pétrole, religions, guerres et affaires, jusqu’aux radicalisations, extrêmes. Et des attentats. Spectaculaires sur le sol de l’hyperpuissance à l’oeuvre seule depuis sa victoire sur le communisme, début d’une funeste série. Des avions de ligne, détournés par quelques fanatiques suicidaires armés de simples cutters, lancés sur des bureaux du commandement militaire et des tours jumelles, symboles de la domination mondiale, en feu sous des panaches de fumée et s’effondrant en direct sur les écrans devant les yeux ébahis du monde entier. Trois mille morts ce matin là...
les dérapages, les accusations précipitées, injustes trop souvent, les manoeuvres démagogiques de circonstance, parfois grossières, dénonciations ou flatteries, et à force toujours plus de suspicion et de tension. Heureusement, un peu d’air frais allait arriver bientôt d’Afrique.
… »
Le «Retour» proposé en 2005 par Trevor Narg, dans « 5021, l’autre monde » page 135.
C’est l’un des thèmes qui agite ce début de campagne électorale, le sujet qui bouscule les états-majors et donne la fièvre aux politiques : comment faire pour produire français ? Comment protéger notre industrie, nos produits et notre savoir faire contre la concurrence étrangère ?
Complément d’enquête sur cette Chine qui ne connaît pas la crise et sur ces Français qui s’y brûlent les ailes..."
Ce n'est pas tout, ce n'est pas nouveau, le 13e arrondissement de Paris, puis les 3e et 18e, les entrepôts à Gennevilliers, au port du Hâvre, entre autres.
Ce n'est qu'un début à lire ce texte édité en février 2007 :
"... Tout pareil, partout. Avec la fin des rêves également, le pas pris de l’argent sur les idées, des gestionnaires sur les ingénieurs, des groupes financiers sur les entreprises, du court sur le long terme, tout pareil, partout. L’ordre social également, le nouvel ordre social, celui de cette mondialisation. Des chiffres atteints les premiers par la Chine où un pour cent de la population détenait soixante pour cent de la richesse. Assez vite généralisés ailleurs avec l’équilibrage concurrentiel. Ainsi l’Europe n’engendrant quasiment plus que quelques produits de grand luxe et l’accueil des visiteurs de ses sites historiques, ses activités s’étaient considérablement réduites, son produit intérieur brut en chute libre. Autant de transféré, en même temps que ses productions et ses technologies, à une Asie de plus en plus riche, au point de poursuivre ses investissements à son habitude, mais à une autre échelle. En s’appropriant cette fois le patrimoine culturel et foncier. Énorme avantage pour l’État coquericain, entre autres, et sa population, ces ultimes privatisations, bâtiments publics et oeuvres d’art encore nombreux, ralentirent la chute des revenus et des prestations sociales, ainsi que la charge de la dette publique héritée du passé, l’illusion pour cette génération d’échapper au désastre. Dernière servie, mais satisfaite. À la satisfaction des maîtres d’alors, comme auraient été satisfaits les précédents qui avaient ouvert la voie..."
Un extrait de "2053 le réveil" de Trevor Narg, page 175.
Nous n'y sommes pas encore, pas tout à fait, mais nous y allons si l'on continue : le résultat de la mondialisation actuelle certes, mais surtout des politiques menées en Occident depuis un demi-siècle, en France "coqueriquaine" en particulier.
Tout cela était prévisible, ce qu'annonce et développe la trilogie de Trevor Narg *. Rappelons que ce tableau date d'un peu plus de 5 ans, et ce court extrait résume et anticipe les effets de cette situation.
* Sa trilogie, 5021 l'autre monde, 5022 la suite en Egypte, 2053 le réveil, sera bientôt éditée en e-book sous le titre :
"De L'ECRAN au réveil, la trilogie" de Trevor Narg
Mais il est encore temps d'enrayer cette situation, les interventions et essais de Trevor Narg proposent des solutions concrètes :
Quant au "Made in France", la question est d'actualité depuis longtemps.
Les économistes ne peuvent ignorer qu'en faisant peser la fiscalité intégralement sur la consommation et non plus sur la production en partie, la TVA l'a déséquilibrée en faveur de la production à partir des années 70.
Ceci en principe, sachant qu'avec sa récupération intégrale incitant à la sous-traitance, elle a favorisé les délocalisations et les intermédiaires, au détriment des vrais entrepreneurs et de l'emploi.
La plupart des problèmes économiques et sociaux en découlent depuis, aussi bien chez les "délocalisateurs" que chez les "délocalisé".
La TVA dite "sociale" ne peut les résoudre puisqu'elle les amplifie, donc les aggrave.
Seule une réforme de la TVA rééquilibrant la fiscalité entre production et consommation peut le permettre.
La TVAP, en remplaçant sa récupération intégrale en phases intermédiaires par une récupération partielle, la retenue étant affectée au budget social.
Cette "TVA à récupération partielle", la TVAP, rend la fiscalité économique redistributive, plus juste et plus efficace pour des entreprises plus compétitives et plus d'emploi, les importations taxées mais sans protectionnisme.
Contrairement à la TVA sociale, sans augmenter les prix, la TVAP assainit l'économie sans pénaliser les citoyens et en favorisant les entrepreneurs et créateurs, les PME en particulier, donc le "Made in France".
Mais pas seulement. Traitant les dérives de la mondialisation à leur base, la TVAP résout d'autres problèmes qui en résultent, de la pauvreté à l'endettement.
Les responsables politiques et économiques en sont informés. Qu'attendent-ils pour l'étudier et l'appliquer ?
La philosophie se met à plaire, il en faut en ce moment, sans doute la raison.
Et l'un des philosophes d'évoquer "l'idéologie de l'air du temps", un autre " l'argent qui remplace Dieu, une religion à civiliser", leurs interlocuteurs ébahis face à tant d'audace.
Il est bon de le rappeler en effet, d'en parler enfin. Ce pourrait être fait depuis 5 ans au moins, depuis la parution de "5021 l'autre monde", puis de "2053 le réveil". Et si l'on en avait tenu compte nous n'en serions pas là.
En attendant, pour se rafraîchir la mémoire, l'esprit aussi, un petit retour à "2053 le réveil", pages 25 et suivantes précisément :
" ...
Gestion de la confusion, de la profusion, du discernement finalement, dans la prolifération des informations et des médias, des surenchères inhérentes à la concurrence, sans souci ni hiérarchie de valeur, dans l’avalanche permanente.
Des priorités ? Les affaires, le choix dominant d’alors, l’argent avant tout, avant l’homme. Et si cet ordre s’était inversé ?
Ce que ce monde aurait pu être ! Dans le respect de l’homme et de la nature, l’argent à leur service. L’intelligence, l’énergie, que chacun partout disposât d’un minimum vital motivant dans un environnement sain, la paix, la liberté, l’aspiration du plus grand nombre à n’en pas douter. Vivre sans souffrir et y contribuer dans la durée pour tous, chacun avec son talent et ses envies.
Impossible ? Les moyens de l’époque le permettaient, plus que jamais. Le moment était venu ! Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité ! Avec la Toile justement, tout, n’importe où, tout partout, joint par tout, de partout. Pour tout, tout instantané. “En temps réel”, disait-on.
En passant, seul l’instantané aurait été réel. L’après, l’avenir, ne voir que virtualité dans le projet pouvait-il inciter à l’action ? L’avant, le passé virtualisé, à quoi bon la mémoire ? Surtout si elle dérange.
Nouveauté majeure que l’instantanéité mondialisée ! Avec l’échange écrit immédiat l’efficacité épistolaire même si la discussion verbale y perdait. Une chance sans précédent, la faculté de rencontre illimitée. À peine concevable auparavant, une autre ère, de liens, de défragmentation, de rétablissement. De promesses et de risques, comme tous les moyens nouveaux, depuis toujours. La différence cette fois, décisive, des moyens à la disposition de tous et non plus, comme jusque-là, du seul petit nombre des initiés, des gens de pouvoir. Là, une ouverture inconnue, à chacun, à tous d’en tirer parti ! Un défi formidable !
Une mine d’informations et de contacts. L’exploitation commerciale d’abord, mais pas seulement, en jeu des intérêts de toutes sortes et, face à eux, des idées, des opportunités d’échanges, la communication autrement, tournée vers la vie, vers les gens. L’envie de réagir, d’agir, plutôt que de se résigner enfin réalisable !
Partout. Dans le Sud aussi, avec sa pauvreté et son génie de la débrouille. L’imagination, la dextérité, avec les récupérateurs par exemple, le recyclage de déchets des touristes en petits objets décoratifs, un retour vers les amateurs de couleurs et de rêves. D’autres idées venaient d’ailleurs, les tourniquets et l’énergie des enfants pompant en jouant l’eau souterraine pour le village. Ou encore, dans l’insalubrité des bidonvilles de mégalopoles agglomérant activités et pauvreté, face à l’exode rural, la réaction de paysans et de pêcheurs rencontrant l’enthousiasme de l’un, l’idée de l’autre, émise peut-être depuis l’autre bout du monde. Tout cela à la portée du dénuement, des moyens modestes, amplifié par la volonté et l’espoir de réussir. L’entraide, le soutien mutuel, le courage et l’exemple, petites gouttes avant de devenir filets, ruisseau... Très peu d’argent, petite marchandise, petite production, petit crédit, remboursement et que ça dure, courage et intelligence, des initiatives spontanées, simples, volontaires et dignes, dans la confiance. La confiance retrouvée !
La conscience que dans la confiance on pouvait s’en sortir, que l’on pouvait s’unir pour agir, même pauvre. Exactement le contraire de l’isolement dans lequel enfermait l’individualisme organisé des pays riches, exactement le contraire de l’assistance compassionnalisée pour la misère qu’ils produisaient. Le contraire du renoncement, de la soumission aux puissances occultes, aux croyances démobilisatrices. Le contraire de la compétition épuisante et de ses ravages chez les plus faibles. Le contraire des moyens considérables gaspillés dans des opérations plus spectaculaires qu’efficaces pour les peuples et pour la nature. Ces initiatives, toujours modestes au début, et même si la réussite matérielle peinait, donnaient de l’espoir et de l’envie. De l’amélioration et de la confiance.
Heureusement, sans cela que seraient devenus les pays, les peuples appauvris, décimés parfois, par d’amnésiques égoïsmes ? Des pauvres se prenaient en main, c’était devenu possible ! Pas seulement grâce à ces nouveaux moyens, mais avec de nouvelles perspectives ! Inattendues et encourageantes, tu l’imagines, le tout s’ajoutant aux techniques acquises, de quoi nourrir tout le monde, vêtir, éduquer. D’autres échanges, d’autres choix. Le vrai choix, entre l’avenir pout tous et les avantages immédiats pour quelques uns seulement. Jamais de telles possibilités, jamais de telles idées n’avaient pu être partagées !
Louanges et récompenses s’affichaient après une telle réussite, des tentatives de récupération destinées aussi à l’appliquer aux pauvres des pays riches, en oubliant l’essentiel cependant : ces échanges reposaient sur l’honnêteté, la pauvreté. À l’origine pour beaucoup de cette pauvreté, les intérêts en place n’auraient qu’été gagnants eux aussi à trouver de nouveaux partages pour y remédier. N’auraient eu qu’avantage à les évaluer. La simulation n’engageait pas, aurait-il fallu simplement le vouloir. Défaut d’imagination ou de volonté sans doute, ils en prêchaient pourtant les vertus, comme celles du risque.
Pourquoi s’en être privé ? J’ai cherché. Dans la compétition, la course à la puissance, toujours plus : “avancer pour ne pas reculer”, sans autre alternative. Fatalité vraiment ? Non, une option. La fuite en avant, l’avoeu de faiblesse. Car les puissants de l’époque n’étaient que des héritiers, ils devaient leurs pouvoirs au passé de pays enrichis grâce à leur géographie, climat, agriculture, sous-sol, et à leur histoire, culture, guerres, industrialisation, colonisation. Ce précieux legs, cette chance, longtemps mis au service du développement, furent dévoyés ensuite entre les mains des mieux pourvus, plus soucieuses de spéculation que de justice, la dernière mondialisation. Aurait-il fallu que ces héritiers fussent à la hauteur.
Dans l’habileté, ils l’étaient sans aucun doute. Exercice délicat certes que le pouvoir, plus encore avec les nouveaux moyens de communication, utiles aussi et savamment exploités. En politique avec des régimes appropriés, les institutions, les pratiques. La démocratie par exemple et sa représentation, souvent biaisées, fussent aisées pourtant à restituer : moins d’abus sans présidence suprême sacralisée par un suffrage universel direct adéquat, davantage de loyauté avec une représentation parlementaire proportionnelle évitant un bipartisme confiscatoire, stérilisant, et, de plus, avec la révocabilité des mandats publics en cas d’engagements trahis. Plus généralement de tout pouvoir sans réel contre-pouvoir.
L’assainissement n’avait pas besoin de passer par la déflagration ! Nationales ou internationales, les instances ainsi légitimées auraient pu prétendre et obtenir priorité sur tous autres pouvoirs, économique et financier pour ne citer que les plus influents. Priorité à l’intérêt général sur les intérêts particuliers, sans chercher à leur nuire pour autant, une vraie concurrence dans ce contexte n’offrant que du gagnant-gagnant. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Illusion encore. Mais n’était-ce pas ce monde-là qui se berçait d’illusions, dans cette phase issue d’illusions et incitant toujours plus à l’illusion, jusqu’à la catastrophe. Le fallait-il sans doute pour qu’il se réveille !
Car les dangers causés par ses pratiques libertalistes mondialisées se révélaient peu à peu, concrets, préoccupants, et qu’il eût fallu y faire face sans tarder : un énorme travail de “nettoyage”, de l’activité pour longtemps, de quoi satisfaire les plus entreprenants, des perspectives économiques formidables ! Un avenir exaltant contrastant avec la morosité ambiante. Incompatible apparemment, un nettoyage à commencer par les esprits. Les libérer de préjugés installés depuis des décennies, effets de la toute puissance médiatique, de la permanence de l’écran.
Si des voix s’étaient élevées un jour en ce sens, elles n’avaient pas laissé de traces. J’ai cherché, je n’ai pas trouvé. J’apprendrai, plus tard, qu’en lisant le troisième livre de la trilogie j’aurais trouvé. "
ainsi vient de s'exprimer Edgar Morin, ce 15 décembre 2009, invité par Frédéric Taddéï dans "ce soir (ou jamais !)" son émission sur France 3.
A cet égard, voici 2 extraits de la trilogie de Trevor Narg publiée en 2005 et 2007 :
- "..."une démarche synthétique". Toute connaissance doit intégrer sa place et ses effets, rien ne se fait sans en mesurer les conséquences. Et réciproquement, face à un problème, en traiter les causes plutôt que les seuls effets pour le résoudre...". (5021 L'AUTRE MONDE page 250)
Autrement dit le contraire des pratiques actuelles,
- "A moins que, dans l'insidieux de l'émotion formatée, de la fragmentation pragmatique et de la manipulation générique d'une époque à sa fin, ne précèdent d'autres fléaux, d'autres œuvres macabres de ces apprentis sorciers si rien ne les arrête." (2053 LE REVEIL page 210) La fin de la trilogie.
Tout est dit, ou presque, dans cette anticipation éditée au début de l'année 2007 :
quelques extraits
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Une paix durable garantie. De même que cette architecture planétaire assurait avec un développement durable pour sa pérennité et celle de la vie. Le monde enfin devenu démocratique, à l’image de l’Ouest et grâce à lui, par la force au besoin, intégralement démocratique, à quelques détails près, mais de fond en comble souverainement, tous les élus avaient oeuvré pour cette organisation. Loin d’être parfaite, tous le reconnaissaient, mais la meilleure pour assurer la durabilité, la sienne d’abord, l’un des fondements de la stabilité, de la réussite dans l’intérêt de tous, du développement et du bonheur qu’il sous-tend. La formule avait fait ses preuves. Les représentants légitimes des peuples s’en chargeaient avec la détermination et le désintéressement qu’ils s’accordaient à se reconnaître. Les peuples votaient, les élisaient, la preuve qu’ils avaient raison. Une certitude donc. Le monde ne pouvait être mieux administré, dans la diversité des cultures des grandes puissances, la richesse de l’homme, de l’humanité, de ses apports depuis la nuit des temps, défendus par l’émergence de ce qu’ils avaient de meilleur, entre les mains des meilleurs d’entre eux, reconnus, élus.
Afin que pût s’accomplir leur noble tâche, dans l’intérêt des administrés en même temps que celui de la planète, ils disposaient des moyens les plus appropriés. De la communication en tout premier lieu. Tout à fait légitime puisqu’il s’agissait de leur travail le plus immédiat. La communication sous toutes ses formes, de la plus douce avec la parole, à la plus brutale avec les armes, les moyens de destruction les plus puissants. Question simplement de dissuader les agresseurs éventuels et de se faire respecter, qu’ils soient étrangers hostiles ou opposants internes. Pour le bon ordre et pour la sécurité des administrés qui le leur devaient bien, ils devaient pouvoir les protéger et ils le faisaient, d’eux-mêmes au besoin. Leurs élus étaient bien mieux informés qu’eux naturellement, en cas de difficulté ou d’incompréhension, il fallait s’en remettre à eux, leur faire confiance. En particulier dans les élections. Ne pas les suivre mettait en péril l’équilibre de l’équation mondiale garantissant la paix, le développement et un avenir radieux.
Il se trouvait toujours quelques curieux pour poser des questions, des réponses qui pouvaient ne pas les satisfaire, des récalcitrants même pour dénoncer les abus, certains la confiscation du pouvoir. Parfois des envieux en mal de reconnaissance, des aigris souvent, qui ne proposaient rien de constructif en échange, la critique stérile, irresponsable. Démonstration, s’il le fallait, leur était faite qu’ils ne comprenaient rien, les élus de tous bords se retrouvaient lorsqu’il s’agissait de défendre l’essentiel, eux seuls pouvaient incarner la modération et la responsabilité, les trublions n’y pouvaient rien. Les arguments de ces derniers, certes, pouvaient alimenter à la rigueur des débats, les ambiances électorales, heureusement personne de sérieux ne pouvait s’y laisser prendre. Surtout au moment crucial du vote. La démocratie jouait à plein son rôle. Les deux bords qui alternaient au pouvoir, qui se le disputaient, âprement, les discours en attestent, représentaient même s’ils étaient minoritaires l’ensemble des courants d’opinion responsables. Ils méritaient de l’exercer puisque élus légitimement dans le respect des règles constitutionnelles. Du droit. L’expression la plus achevée de la civilisation et du progrès au service des peuples, au service de l’homme.
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Une volonté de paix ainsi généralisée, un climat troublé néanmoins par des réactions violentes, des attentats sanglants. Aux vertus mobilisatrices d’une efficacité insurpassable. Il suffisait d’oublier de s’en protéger lorsqu’ils étaient annoncés pour que le risque augmentât. De la même manière que les frustrations et les mécontentements en les réprimant, assez pour les attiser. Certains dénonçaient là manipulation et instrumentalisation irresponsables. Oser ainsi critiquer, sournoisement par surcroît, le courage de ceux qui les protégeaient eux aussi n’appelait que mépris. Face aux périls, face à la terreur, il fallait bien se défendre, défendre surtout les populations et leurs intérêts dont ils avaient la charge. Le poids des responsabilités, le sens du devoir, l’exercice des pouvoirs conférés, faire son travail, “son boulot” préférait-on, tout simplement. S’en montrer digne. Pour le bien de tous, même s’ils ne le comprenaient pas toujours. L’oeuvre de générations de plus en plus avisées, de plus en plus déterminées, de plus en plus éclairées. L’oeuvre aboutie dans l’équilibre et le meilleur, l’équilibre des sept grands, le meilleur avec l’unanimité, la foi en des règles communes, désormais universelles, la foi dans la liberté, dans le marché et ses vertus. L’accomplissement. La preuve faite enfin, définitivement, de la valeur absolue et irréfutable de la loi de l’offre et de la demande, de l’argent, de la libre concurrence, du commerce ouvert sans barrières ni contraintes d’aucune sorte. La liberté dans sa plus belle acception.
EST
Tout humain digne de ce nom, tout individu responsable et de bonne foi ne pouvait que le reconnaître puisque ses anciens adversaires les plus résolus, les communistes, les Chinois, avaient fini par le reconnaître. Un argument incontournable, toute contestation de cette valeur ne pouvait être que suspecte. Comment encore mettre en doute ce qui a fait ses preuves depuis longtemps, la seule voie qui réussisse, aucune autre, toujours plus de richesses, toujours plus de bien-être, incontestablement. Bien sûr, des efforts, des sacrifices ont été nécessaires pour y parvenir à ce point, la nature et les hommes mis à contribution, ceux qui n’ont su se défendre ou qui n’ont voulu donner le plus en ont peut-être pâti, ils n’avaient qu’à agir, libres de se battre qu’ils étaient eux aussi. Une question de mérite, de justice.
Il se trouvait bien çà et là quelques nuances. Pour la plupart des scories culturelles, la preuve du respect des peuples, de leur diversité, s’il en fallait encore. Des dirigeants de la vieille Europe voulaient préserver l’ “exception sociale”, de même que la jeune Chine, l’ “exception socialiste” ; des contributions, contraires mais positives, à l’équilibre et à la dynamique de cette magnifique construction, l’édifice libertaliste en oeuvre. Un des gages de son intelligence et de sa vitalité, la prise en compte des relations sociales, la priorité humaniste. Chacun à sa façon. Pour rester avec ces deux géants, exemplaires sur ce terrain, leurs relations et leurs échanges l’étaient aussi, mais autrement. Un petit entrepreneur, membre du Parti communiste chinois, pouvait être reçu dans les ors des limbes présidentielles pour un achat industriel. Pour la branche télévision d’un fleuron national, une association livrant à bas prix usines de production et milliers de brevets. Quelques années après, l’heureux acheteur entrait dans les dix premiers mondiaux du téléphone, la première place dès lors à sa portée. Surprenante fierté des vendeurs, la technologie coquericaine portée au sommet du monde ! Mais désormais chinoise. La performance méritait bien une bénédiction. Des mêmes qui, à leur tour, se rendaient à l’Est pour rencontrer leurs homologues, la vente de produits coquericains toujours à l’ordre du jour, avec la même fierté des industriels et des médias, liste et chiffres considérés comme significatifs, porteurs de travail pour les mois à venir. Des avions, autre exemple d’une autre ampleur, il fallait vendre, commande historique s’il en fut ! Des accords de coopération industrielle, le montage délocalisé et la suite... Le court terme assuré comme il se devait, encore une fois. “Au détriment du long terme” se permettaient quelques oiseaux de mauvais augure.
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Pour revenir aux tractations internationales, les oiseaux de mauvais augure prétendaient incomplète une mission où la question sociale n’était pas abordée. Crainte de contagion, d’effet boomerang un jour... Une des raisons du déferlement des produits à bas prix qui commençait à parachever la destruction des industries adverses. Qu’en eût-il été des ventes ? Complexité des accords et du pouvoir qui, assumée, en fit un temps sa noblesse.
Là, tant pis pour l’avenir ! Ce n’était pas nouveau certes, mais cela devenait grave. Alors plutôt détourner les regards, s’attendrir sur le sort d’ouvrières, de petites mains souriantes du lit au banc de fabrication de l’autre côté de la rue. Travaillant deux fois plus pour dix fois moins, “heureusement avec une productivité plus faible” rassurait-on. Mais quelle leçon ! Le bonheur, resplendissantes de bonheur, “elles gagnent quatre fois plus que leurs parents” et se réalisent dans le travail pour l’entreprise, pour le pays. Un exemple attendrissant, un répère ! Une magnifique source d’inspiration. Pour tous, même pour des designeurs, ce pose-vêtement par exemple, ce fil pointé à ses deux bouts sur la cloison le long du lit, un minimalisme touchant. Oui, l’Asie, un exemple, tout en conservant son exotisme, notre monde si bien intégré, des gratte-ciel flamboyants couleurs crèmes glacées, mais de vraies pagodes post-modernes et bientôt records technologiques, des vêtements, des coiffures à l’avant-garde aussi, vingt cinq ans après l’uniforme Mao généralisé. Que de beautés, que de nouveautés, que de sourires. Oui, le bonheur après tant de souffrances, attendrissante mondialisation. Prometteuse.
Eux avaient compris, ils pouvaient tout acheter, sans conditions, à bas prix, il suffisait d’attendre.
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Face à cette réalité nouvelle, que d’interrogations ! Les politiques n’étaient pas seuls concernés, l’économique, l’argent, les entreprises se voulaient naturellement hors de cause. Prise dans les tourbillons des crises successives, la gestion patronale n’était-elle pas la seule à proposer des solutions, trop rarement suivies, et à créer les emplois ? À l’annoncer toujours. Pour le textile, qu’avait-elle fait du délai d’adaptation qu’elle avait obtenu ? De même des subventions publiques réclamées. Autant de questions perdues dans le flot de l’actualité, comme l’exemple des télévisions, du téléphone. Pas le seul, trop du savoir-faire et de la technologie fournis par le travail intellectuel et manuel de citoyens formés par la collectivité publique, non seulement bradés au profit de quelques uns et du court terme, mais définitivement perdus avec l’effet boomerang d’une dépendance durable, résultat d’un système qui se révéla aussi parasitaire que dévastateur.
Il avait fallu une grande frousse, peu avant la marche sur la Lune, pour que le systême donnât sa mesure. Une reprise en main pour récupérer le terrain concédé à des forces sociales aux prétentions débribées, des avantages accordés sous la pression de la rue, des étudiants, des pavés et des grèves. Une volonté unanime, des instruments et des moyens qui suivraient, une fois la détermination acquise, dans les soutiens et réciprocités politico-économiques, une fois le commerce libéré des règles gênantes, où que ce soit. Une fois en place, de puissantes organisations financières pour assurer sans faille la loi du marché, et leurs fers de lance, les grands groupes.
Les grands groupes . Que les meilleurs gagnent, mais quelques instruments pour cela. Pouvoir faire face aux crises les plus sévères : énergie, pétrole, caprices des producteurs, insécurité et rareté en perspective, et aux bulles spéculatives, financières, immobilières, imprévisibles. Compétitivité pour commencer, ajustement des moyens, optimisation des ressources et, pour la meilleure adéquation avec le monde ouvert, des ressources humaines, la mobilité, la productivité et la réalisation personnelle. Volonté et imagination à l’oeuvre, la flexibilité, souplesse pour tous, concentrations et économies d’échelle au gré des opportunités, les alternances de diversifications et de recentrages, de même que les délocalisations : certes avec les ajustements, nécessaires hélas, des fermetures d’usines aussi et des licenciements. Prises de risques sanctionnées par les résultats, un excellent travail justement récompensé, donc les actionnaires, les profits augmentaient, garantie de santé économique de ces entreprises et de leur pays, le civisme économique.
Mal compris souvent. En particulier des “victimes de ces manipulations”, les sans emplois, bientôt sans abris pour beaucoup trop, les plus vulnérables. Pour la plupart, ceux qui avaient bien travaillé pour l’entreprise et non pour s’en préserver, les gens sérieux, les braves gens, ainsi bien plus exposés que des parasites qui pouvaient continuer d’y prospérer. Des victimes indemnisées toutefois pour leur permettre de retrouver un emploi, qu’elles s’en donnent la peine et qu’elles acceptent, elles aussi, de s’adapter à la situation nouvelle, à la compétition, elles en sortiraient renforcées, grandies. Les autres, les solidarités nationales devraient s’en charger.
Pour que les “dégraissages” puissent s’opérer sans nuire à l’entreprise, il lui fallait au préalable consolider ses compétences ...
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En tout cas, pour ce qui est de la dernière mondialisation économique, son existence ne devait rien au hasard, préparée et construite pas à pas. Complot ou pas, TVA, qualité, grands groupes, usines et tranferts de technologies ne devaient rien au hasard. De même que ses dérives.
Il fallait bien s’adapter à la concurrence internationale disaient-ils fort justement, mais, organisée à leur façon, ils en étaient responsables. Les conséquences ? Pour les suivants, pour les autres. De plus sans avoir à en rendre compte. Et pas seulement au Ciel !
Qui mieux placé pourtant que les gens de pouvoir pour savoir que, de compromis en habiletés, le pouvoir pervertissait. Qui mieux placé pour en abriter la masse de citoyens qui en étaient dépourvus. Pour les aider à rester toujours plus nombreux, à aider ainsi au maintien de la droiture, toujours plus sur le monde, pour le bien de tous. Et que le pouvoir restât en très peu de mains, les leurs, les risques étaient trop grands, les richesses trop limitées, la communication trop sérieuse. Et les apparences trompeuses, ceci ne démontre-t-il pas combien ils étaient méritants.
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Alors que paradoxalement s’affichait un optimisme mondial flamboyant comme le luxe, les frasques et le clinquant des riches médiatisés en mal de gaspillages, et que la vie du plus grand nombre ne cessait d’empirer, le dérèglement climatique entretenait une sourde inquiétude dont il était fait le meilleur usage. Après l’avoir longtemps nié ainsi que son rapport à l’activité humaine, la société de “précaution” veillait à répondre aux dérapages écologiques, même après coup, au moins médiatiquement, de préférence infantiliser plutôt que responsabiliser pour se couvrir. Non seulement sur le climat mais sur l’écosystême, la santé, la misère, sur les dérapages consécutifs à ceux de la mondialisation.
Difficile de savoir vraiment s’il était encore temps et que faire. Sinon de s’en remettre au destin, à ceux qui le tenaient entre leurs mains. N’avaient-ils pas réussi, dans l’adversité de l’équilibre concurrentiel, à maintenir l’essentiel, un Nord en paix avec des niveaux de vie relativement satisfaisants pour ses habitants, ceux qui s’en tiraient ?
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Ressentie depuis des années au travers d’une paranoïa croissante et de plus en plus autiste, l’escalade avait fini par sortir du petit cercle des initiés. Personne n’oubliait la revanche à prendre par une Chine maintes fois humiliée par l’Occident dans le passé, à commencer par l’ère industrielle qui l’avait privée de sa suprématie commerciale pendant des siècles. Les intimidations se devaient de retentir haut et fort. Avec la maestria acquise au fil du temps et du conformisme, les médias géraient le chaud et le froid au gré des tendances. Des ficelles un peu grosses pour ceux restés vigilents, il en restait, en dépit des difficultés qui leur étaient faites. À contre-courant décidément du temps, à la fois plus et moins nombreux, plus dans leur détermination, moins en nombre, ce que ne manquaient pas de relever statistiques et sondages au service de l’information objective comme il se devait.
Depuis bien longtemps, les populations s’accommodaient du mensonge stratégique, dire le contraire de ce que l’on fait, de ce que l’on va faire, une arme tactique affirmait-on ; elles croyaient en la démocratie, elles s’y accrochaient comme à une bouée de sauvetage, l’ultime pour beaucoup. Elles pouvaient écarter par leur vote ceux qui nuisaient et ne s’en privaient pas, à chaque élection, mais, avec une étonnante amnésie, pour laisser la place “sans grande illusion” à d’autres, à ceux qui avaient précédé, et ainsi de suite, comme si ce fût inéluctable. La régression acceptée. Qu’en fût-il advenu autrement ? Avec la perfidie des saupoudrages de “privilèges”, petits et grands, aussi habilement distribués qu’âprement défendus, assez pour que chacun pensât avoir quelque chose à perdre, qui son allocation, qui son aide, son remboursement, soutien, secours, bonus, dégrèvement, déduction, exonération, subvention, défiscalisation, dispense, compensation, participation, remise, qui sa prime, son indemnisation, son dédouanement, sa niche, son incitation, son passe-droit, sa carte, sa note de frais, son chauffeur, qui mieux que ceux qui en profitaient le plus pour les leur préserver ? Qu’importait le cloaque du moment, l’illusion de sauvegarder subsistait !
Que de curiosité, que de tempérament fallait-il pour s’extraire de la résignation ambiante ! Que de courage aussi ! Et il y en eut. Assez pour s’étonner des manoeuvres, pour dénoncer les provocations, pour s’inquiéter des dangers. Rien de nouveau, leur objectait-on, toujours le même alarmisme ! Les mêmes peurs, comme pour la pollution, comme pour le climat. Des rabat-joies qui empoisonnaient la vie, semant la crainte, réduisant la confiance et la consommation, nuisant à la croissance et au pays. Négatifs à cent pour cent. Aucune proposition raisonnable.
Il suffit de lire ce court extrait de 5021 l'autre monde, page 122 :
"-En moins d’une décennie, les conditions de vie sur Terre ont basculé. Sans assistance ni protection, plus de vie possible ! Et... pour cent de la population mondiale a disparu. Une enquête avant la toute dernière crise révélait que les responsables de l’époque avaient fait leur travail. Les scientifiques, les laboratoires, les établissements et les services par milliers dans leurs domaines, recherches, modélisations, vérifications et autres programmes. Les élus, qui ont suivi, légiféré, rassuré et répondu aux attentes de leurs électeurs. Les industriels, qui se sont conformés aux règles. Tous, sauf peut-être des insuffisances de collectivités, de contrôles, de moyens, et malgré l’indiscipline des populations trop souvent. Les responsables en tout cas étaient irréprochables..."
2053 le réveil , 3e roman de la trilogie, commence ainsi :
" Chapitre I
SAVOIR
“La veille de ses dix-sept ans Lucas connaît sa première panne de cominateur, le comécran noir, vide, inerte, éteint. Ni son, ni signal en dépit des appels. Pas de réponse...” Ainsi commence “5O21, l’autre monde”, ce roman évoqué lors d’une conversation, par qui ?, Léa ou Hélène, cela fait si longtemps... Une fiction sur notre époque qui l’aurait si bien prédite. Un titre en toute première place dans mes recherches, je l’avais trouvé assez vite, heureux de ma trouvaille, je n’y croyais qu’à moitié. Le premier tome d’une trilogie. Dès la première page, dès les premières phrases, une bouffée d’émotion, énorme, l’impression de revivre ce qui m’était arrivé justement à cet âge. Cet isolement soudain. Le sentiment d’isolement plutôt, plus de communication, plus rien l’écran éteint, privé de l’essentiel dans une inquiétante persistance ; mais d’autres sensations, autant de nouveautés dans la vie du personnage. Inimaginables, inoubliables. Autant de découvertes, jusqu’à celles d’un autre monde, des merveilles qui l’avaient peuplé, de ses gâchis jusqu’à son autodestruction, jusqu’au drame, jusqu’à notre monde. Trouver ainsi dans un livre, page après page, des moments forts de sa vie, d’incroyables sensations, le temps de sa jeunesse. Ceux qui l’ont accompagnée, ce qu’ils m’ont appris, ce qu’ils m’ont fait et m’ont donné envie de faire.
Je dévorais également le second roman, le retour à la vie. Une gourmandise. Après les rigueurs du Nord les saveurs d’un Sud accueillant, “5O22, la suite en Égypte”, vers le changement, à la rencontre des autres et, avec eux, de ce que la vie apporte de meilleur, l’amitié, l’amour, le plaisir. De merveilleux souvenirs, extrêmement troublants. Souvenirs vraiment ? Hallucinations ? Fantasmes ? Je me le demande encore. Et le troisième ? Le premier disait-on aussi. Tenté de le lire bien sûr, m’exposer alors à connaître à l’avance ce qui m’attendait peut-être, ce qui m’attend finalement à présent. J’ai résisté, je n’ai pas succombé. Mon avenir entier entre mes mains, enfin, en avais-je le sentiment, l’illusion sans doute.
Aujourd’hui, dans la situation où je me débats, je n’en suis pas si sûr. Je ne sais plus. Il m’arrive de le regretter, je saurais ce qui m’attend. Peut-être le saurais-je ? Serais-je rassuré. Tant remonte en moi en effet, par vagues, une houle poussée par des flots de souvenirs, tirée par des rêves, d’éveils et de nausées, d’inquiétude dont il me faudrait me défaire. Et l’espoir, autant, auquel je m’accroche ou qui me porte selon les moments. Peut-on vraiment se remémorer un vécu mouvementé sans cette alternance, ce lancinant balancement. En perte d’équilibre, surtout au coeur de tels bouleversements, en si peu de temps tant de changements. Comme jamais sur cette planète, d’une telle ampleur, aussi cruels, aussi rapides. Cosmiques ou géologiques, historiques même, les transformations avaient toujours pris leur temps, le temps de l’adaptation. Pas les deux que nous venons de vivre ! Pour ces transformations, totales pourtant, le temps seulement d’une génération. La mienne. La seconde, pour moi en première ligne, me préoccupe en ces instants, non la transformation elle-même, mais ce qu’elle m’apporte. La première, la pire, décisive pour toute la vie terrestre, je ne l’ai vécue qu’au travers de ce qu’on m’en avait dit.
Il me fallait donc comprendre, comprendre mieux ce temps, le temps d’avant ma naissance, des bouleversements qui l’avaient précédée, il me fallait savoir. Ne plus m’en tenir à ce qu’on m’en avait dit, simplement à cela. À ce qui avait nourri ma curiosité et ma réflexion, de l’enchantement à l’indignation, écartelé trop souvent dans un périlleux exercice de mémoire, aux frontière des réalités. Les réalités, mais où étaient-elles ? Qu’étaient-elles vraiment ? Aurais-je pu le savoir ? Les avais-je abordées seulement dans la soif éperdue, la crédulité d’une jeunesse avide, dans l’engouement de découvrir. Et vint le temps de se trouver, soi-même, d’essayer au moins, de prendre pied. Un peu plus que répondre à la nécessité, tenter de la dépasser, de comprendre. De savoir aussi assûrément que possible, se documenter, chercher, penser. Disponible dans sa tête et dans son temps. Du temps, il en fallait, beaucoup, tant d’informations à disposition, d’indispensabes tris. Trop sans doute, mais il le fallait. Absolument. Pouvait-il en être autrement après ce que j’avais vécu, avec ce que je vivais.
COMPRENDRE
Comprendre, il me fallait comprendre, essayer au moins. Une impérieuse nécessité. 5022, mon premier séjour en Égypte m’avait éveillé à la vie, à ce qu’elle a de meilleur, enfin rassemblés autour de moi, l’eau, les plantes, d’autres êtres, l’espoir, tout ce dont j’avais été privé auparavant. Longtemps sans le savoir mais, depuis que je savais, un manque rétrospectif devenu insupportable. Malgré les explications qui m’avaient été données, peut-être à cause d’elles. Non que je doute de leur honnêteté, j’ai toujours le sentiment de tout devoir à ceux qui m’en ont gratifié. Un manque amplifié par l’immense solitude vécue depuis mon retour. En savoir davantage, il le fallait, le besoin, l’envie, je disposais des moyens, je ne pouvais qu’y parvenir. Je ne sais si j’y suis parvenu.
Si je voulais comprendre il me fallait douter, j’y étais prédisposé, l’influence de mon grand-père dès ma prime enfance. La curiosité en éveil, satisfaite souvent au fil du temps, malgré ou grâce à l’isolement dans lequel m’enfermait ma case, un isolement atténué par le comécran. Ce qui me valait bien des surprises. C’est après vraiment que j’en ai eu. Celle qui m’a le plus marqué ? Celle qui me vient à l’esprit sans doute. Un étrange constat, simple et monstrueux. Au moment précis où s’était engagé le processus final, cet emballement destructeur qui s’en prit au plus précieux sur Terre, la vie, au moment où explosaient les bombes atomiques et les débuts d’une société de consommation aux illusions ravageuses, naissait quelque part dans quelques têtes et quelques laboratoires une science nouvelle, la bionique. Déclarée nouvelle. Partant de l’observation du vivant pour en tirer des applications technologiques pratiques, des moyens d’investigation toujours plus poussés retrouvèrent et tentèrent de reproduire l’oeuvre de la nature, l’infinité de transformations, d’astuces et d’exploits pour s’adapter, pour vivre tout simplement. Une mine inépuisable d’idées. À partir d’insectes par exemple, la compréhension des sens au plus loin de leurs subtilités et de leurs capacités, jusqu’à leur restitution artificielle avec des capteurs copiés grâce aux nanotechnologies. Ou bien la petite usine que constituait un moustique pour aspirer du sang au travers de différents tissus vivants, une fois et demi son poids, et surtout pas plus, sous peine d’exploser. Tout cela si petit, si parfait, la découverte de l’intelligence de la nature et de sa puissance économe en énergie. Quelle leçon ! Évidente pourtant, comment se perpétuer dans la durée sans un tel équilibre, l’autoéquilibrage naturel ?
L’homme pense, lui, mais il n’avait pas pensé à cela. Du moins l’homme technologique, l’homme du commerce. Pas l’homme de toujours, la démarche bionique n’était pas nouvelle, elle l’était pour la civilisation occidentale. Elle ne l’était que pour le monde où la quête obsessionnelle de richesse et de domination avait fait oublier l’essentiel, le respect, le respect de la nature d’où tout provient. En s’acharnant à la soumettre. Le prix du progrès ? Bien avant la Grèce, son fer de lance, des sociétés humaines avaient acquis de hauts niveaux de civilisation et de technique, en y associant de plus la beauté et le sens. En maîtrisant leur art, la Chine, l’Égypte ; Louxor, le moulage des pierres et des motifs me reviennent ici à l’esprit... Oui, l’Égypte était de ces civilisations. Je l’ai vu, je l’ai compris sur place. Le résultat tout simplement mais durablement de l’observation de la nature et de ses mécanismes, et de leur respect m’avait expliqué Dou. La raison de sa pérennité, traduite dans la Tradition ancienne. Détruite et oubliée pendant des millénaires, ceux des croyances religieuses toutes puissantes, des guerres et des dérives dont on sait malheureusement qu’elles ont conduit au cataclysme généralisé. Léo, mon grand-père, opposait ces deux périodes, ces deux démarches : la démarche synthétique des anciens, fondée sur l’observation et le respect afin de ne transformer que sans perturber le contexte et d’assurer l’avenir, lente, responsable, durable ; en face, après, à l’opposé, la démarche analytique visant l’avancée avant tout, sans trop se soucier des conséquences.
Ilustration déjà citée, la fission nucléaire : la bombe était possible, il fallait non seulement la produire, l’expérimenter, mais qu’elle détruise et qu’elle tue, qu’elle ronge des vies, en quantité. L’avancée à tout prix. Inéluctable ? À ce point, sans doute en réaction, n’était-ce pas étranger à la naissance de la bionique ! Au retour à la raison, l’envie subconsciente du moins. Mais en attendant, que de retard ! Deux mille ans ! Que d’erreurs, que de dévastations épargnées si la démarche synthétique n’avait pas été écartée, s’il ne lui avait pas été préféré d’autres voies, l’obscurantisme des croyances et l’aveuglement des progrès. Pas question de refaire l’histoire aujourd’hui, ni même de l’imaginer autrement. Assez de thèses éditées là-dessus, assez de théories, de manoeuvres et d’arrière-pensées. L’histoire des hommes, dès lors qu’il en a été pour inscrire l’apocalypse au bout de cette histoire, il en fut pour y conduire. Comme à l’aboutissement, inéluctable. Ces deux millénaires s’y sont employés, l’acharnement de pouvoirs humains, toutes alertes ignorées. Deux millénaires, en dépit de ce qu’ils lui ont fait subir, la nature est restée plus forte. De même que la plante, que l’insecte qui la caractérisaient si bien en bionique, comme dans la vie, elle a su contourner le danger, cette fois avec les “désobéissants”, Hélène et Léo, Léa et d’autres. Je me souviens de 5021, de ce qu’ils m’ont dit des Comités de survie et de leur détermination qui nous valent d’être toujours là, encore là aujourd’hui. L’histoire continue, autrement. Comme les survivants, et nous la faisons, avec ses incertitudes et ses attentes.
L’ÉCRAN
Ainsi m’avait-il fallu comprendre. Aller à l’information plutôt qu’elle vînt à moi. J’ai eu cette chance. Connaître par moi-même, m’extraire de l’enfermement d’encore et de toujours, de ma case et ma combinaison, de mes connaissances, de ma vie. Quoi d’autre dans l’hostilité asséchée de cet univers dévasté qu’une bulle parallélépipédique refuge, seul espace personnel, seul monde à soi. Rien de possible seul à l’extérieur. Tout, seul à l’intérieur, incarcéré dans ce volume clos. L’abri sûr, l’alimentation appropriée, l’hygiène confortable palliant les manques sans qu’on s’en aperçût vraiment, même d’eau douce. Le tout sous surveillance pour une vie agréable enrichie sans cesse par la communication. Au travers de l’écran, le comécran, le cominateur, les instruments les plus performants, l’apport le plus ouvert, disponible, la compagnie, permanente. Tout reçu, tout ce que je savais, il m’apportait ce que je devais apprendre, ce que j’apprenais. Et tout ce que je lui demandais. Ce que j’étais, je le lui devais.
J’en sortis, le temps venu. D’abord quelques incursions ailleurs, à la découverte du monde environnant. Revêtu des protections idoines, abrité physiquement contre les radiations, carapaçonné sous combinaison, tout prévu en cas de danger pour faire face, il suffisait de se conformer aux procédures. D’autre choix ? D’autres possibilités que d’intégrer cet ensemble parfaitement au point, parfaitement adapté aux besoins et aux circonstances, la question ne se posait pas. S’était-elle jamais posée dès lors que l’écran existait, à sa portée apportant réponse à tout ? Au quotidien, l’ami fidèle, le confident.
De m’en être éloigné m’en avait appris la dualité, la duplicité parfois. De même qu’après mon séjour en Égypte, la combinaison anti-radiations, cette deuxième peau sanitaire de chaque jour, de toujours, me devint camisole protectrice, à enfiler comme pour l’amour avant, pour le sexe, à ne pas oublier, danger, partout ; de même que mon abri de toujours, ma case devint emplacement, cellule protectrice, l’écran se révéla encadrement de protection. L’écran qui apporte la connaissance et la cadre, qui montre et qui cache, qui éclaire et qui masque, qui pleure et qui rit. L’écran qui ouvre et qui filtre, l’écran qui apprend et qui distrait. Le réel et le virtuel, qui les mêle et les emmêle, le faux, le vrai. Dualité de l’écran, dualité du monde, n’en était-il pas ainsi de tout, disait-on ? Ne la portait-on pas en soi ? En tant qu’individu, qu’être social ? En tant que société ? Je me pose encore la question, l’admettre en effet reviendrait à tout admettre. Comment s’en satisfaire ?
En tout cas l’écran tel que je l’avais connu, tel que je le connais, concentre tout cela. Mais sans lui, que saurais-je ? Que serais-je ? Comme sans doute tous ceux qui ont toujours eu près d’eux un écran d’images et de sons, j’ai le sentiment d’en être un peu le fruit. Il a façonné mon regard, ma réceptivité ; son interactivité, questions et réponses ont influencé mon langage, mes raisonnements. En résonance, en phase, il le fallait bien alors. Rien d’autre. Incompatibilité interdite, incompatible. Une seule machine pour tous et pour chacun, il fallait bien s’adapter. Plusieurs programmes, choisir et s’adapter. À la merci de ces programmes, de ceux qui les faisaient, de ce pourquoi ils les faisaient. Enseigner, former, distraire, il fallait bien apprendre, rêver, s’évader. Et si étaient liés effets et intentions, ne suffisait-il pas de le savoir ? L’écran, compagnon, complice, disponible, avec l’ordinateur, le cominateur et le mobiphone devenus indispensables et unique source de communication. Autre dépendance essentielle à la survie, avec la protection sous camisole et placé dans sa case, son corollaire. Comment l’oublier ?
Sans écran, sans comécran, pas de survie possible... "
Vous n'êtes qu'à la page 17 de 2053 le réveil, l'aventure se poursuit jusqu'au réveil.
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L'aventure se poursuit en passant là, page 180 :
" ...Il fallait de la curiosité et du tempérament pour s’extraire de la résignation ambiante. Du courage aussi. Et il y en eut. Assez pour s’étonner des manoeuvres, pour dénoncer les provocations, pour s’inquiéter des dangers. Rien de nouveau, leur objectait-on ! Toujours le même alarmisme ! Les mêmes peurs, comme pour la pollution, comme pour le climat. Des rabat-joies qui empoisonnaient la vie, semant la crainte, réduisant la confiance et la consommation, nuisant à la croissance et au pays. Négatifs à cent pour cent. Aucune proposition raisonnable. L’Amérique défendait les intérêts de l’Ouest, de l’Occident tout entier, les intérêts des Européens en particulier. Ils devaient la respecter, ils devaient la suivre. La mettre en doute frisait la trahison. Voilà la position du moment. À laquelle personne ne croyait mais que personne ou presque ne dénonçait. Indifférence, accoutumance, habitude, réagir devenait pittoyable autant qu’inconvenant. Fallait-il être naïf ? Cela ne servait à rien. Rigoureusement à rien, sinon à contrarier. Cela n’empêchait pas la situation d’évoluer.
L’aggravation des rapports sino-américains filtrait et commençait à inquiéter Qui voulait bien observer, se documenter, réfléchir. Encore fallait-il en faire l’effort, sortir de l’information médiatisée. Tout en effet dans l’actualité locale, les manifestations festives, les créations nouvelles, les films surtout, tout incitait à l’optimisme. Les chiffres aussi, “tous passés au vert” et maintenus, ce que l’on n’avait vu depuis longtemps. De plus, généralisée au fil du temps, à la tête des entreprises, des commerces installés de longue date, les restaurants, les revendeurs de produits importés, des petits ateliers, des quartiers entiers, des sites touristiques et dans ces sites, la présence asienne incitait à la prudence. Tout entre ses mains désormais, cela commençait à se savoir. Prendre position exposait à des risques, à perdre les avantages restants. Il ne s’agissait pas d’une colonisation, mais d’une collaboration, ce n’étaient pas les Chinois qui avaient voulu cela, mais les Européens, pour sauver leur pays et le pouvoir d’achat de ses habitants. Avec en garantie les avoirs des “un-soixante”, mis à l’abri en Amérique. Rien d’écrit, mais l’assurance que ces “un-pour-cent” étaient patriotes puisque résidents américains désormais.
FEU
Il fallait donc ménager ces bienfaiteurs, détenteurs encore des sociétés de communication et de création artistique. La sauvegarde de la culture occidentale, une preuve de plus de leur attachement à ses valeurs, aux valeurs du pays, au pays. Leur soutien à l’initiative de l’Organisation des Nations Terrestres d’exiger une médiation le démontrait une fois de plus. Une médiation qui visât un accord stable et durable entre les aspirants à la suprématie. Pour convaincre de modération les Chinois, Européens et Indiens d’un côté, les Américains, Japestasiens et Brazudaméricains de l’autre. Le Russarabestan, seul géant tenu à l’écart, en prit ombrage sur le coup, se considérant au centre entre Est et Ouest le plus à même, avec l’expérience de conflits incessants, sa vocation historique, d’obtenir un compromis viable.
Un délicat exercice qui mobilisa tout le talent des communicateurs à l’oeuvre. Exhiber le déploiement diplomatique et ses fastes en expliquant qu’il était inutile puisque tout allait bien. La routine presque. Effectivement, il ne servit à rien. Personne ne s’en était aperçu, toutes les parties affichaient une satisfaction qui faisait du bien à entendre. Encore un peu plus de bonheur après ces pourparlers. Rassurés pour longtemps, pour autant qu’il y eût des inquiets. Ceux qui l’étaient le restaient en fait, plus encore. Une telle unanimité ne pouvait que cacher le pire. Aucune réponse ne vint aux questions posées. Après de tels résultats, le doute ne pouvait être que provocation. Surtout venant des mêmes. Toujours les mêmes ! La poisse en action ! Ne manquait-il que cela ? Peut-être.
La veille de ses dix-sept ans, ou l’avant-veille, Lucas connaît sa première panne de cominateur. Le comécran noir, vide, inerte, éteint. Ni son, ni signal d’aucune sorte, en dépit des appels visuels, sonores, tactiles. Pas de réponse. Étonnant. Inimaginable ! Jamais une telle situation n’a été évoquée, pas plus dans sa formation que dans ses contacts. Ni ceux de ses interlocuteurs habituels. À moins qu’une telle éventualité ne lui ait échappé, ou qu’elle ne lui ait été cachée. Comment le savoir? Que faire? L’extension mobiphonique a bien conservé son autonomie électrique, mais sa téléconnexion au cominateur la rend muette. L’implant bionique de cette extension lui aurait-il évité cet inconvénient? Trop tard, il ne l’a pas accepté lorsqu’on le lui a proposé. Impossible de joindre qui que ce soit. Impossible de sortir de la case, ses fonctions domotiques sont asservies au cominateur. Tout est bloqué. Fermé. Il existe bien des dispositifs de secours, il en a vaguement entendu parler mais cela fait bien longtemps. Inutiles jusque-là, superflus. Saurait-il les trouver et les utiliser? Mais pourquoi se poser tant de questions? Effet de surprise, à peine réveillé. Nul doute, l’arrêt ne peut être que de courte durée. Et bien d’autres personnes sur la base doivent se trouver dans la même situation, isolées, prisonnières, décontenancées peut-être, comme lui. Comment pourrait-il imaginer ce qui l’attend?
Rien dans sa nuit n’a été perturbé par la panne. Elle a dû se produire peu avant son réveil. Aucune fonction vitale ni hygiénique n’a fait défaut. Il se lève “frais comme un gardon”. Curieuse expression. Parfaitement incompréhensible aujourd’hui dans le détail, dans les mots. De l’ancien français, populaire, un charme désuet auquel Lucas restait sensible, dans l’indifférence générale. Sur le réseau des traditions populaires anciennes, l’expression ne figurait pas. Il la tenait de son grand-père, une présence dont il gardait le souvenir. Un souvenir fort, un souvenir précieux. Un regard rieur, plein d’attention, un accent particulier, rocailleux, d’un autre temps, comme si l’européen n’avait pas été sa langue maternelle. Alors qu’elle devait l’être, le français l’était bien. L’européen ne s’en distinguait qu’un peu, très peu, par l’orthographe et des expressions, la plupart oubliées. Lucas regrettait de n’avoir pu en retenir davantage du temps de ce grand-père, trop tôt disparu. Seules quelques unes lui revenaient à l’esprit, à l’occasion, assez souvent, celles qu’il se disait à soi-même, comme une compagnie, une part d’intimité. Il se lève donc en pleine forme et, par delà la surprise, la consternation du vide.
Quelle heure peut-il bien être? La lumière de l’aube filtre des interstices du store. Le store ne s’est pas levé automatiquement comme d’habitude, en cette période intermédiaire une heure à peu près après le lever du jour. A-t-il dormi plus longtemps? Sûrement, mais de combien? Rien, aucun indice ne permet de le savoir. Si ! son appétit. Il n’a pas très faim. Il ne doit pas être très tard. Et puisqu’il y pense, le gel matinal... La porte du placard alimentaire ne veut pas s’ouvrir. Une poignée serait bien utile, pas de prise sur les chants encastrés. À défaut de télécommande, comment agir sur le verrouillage électromagnétique? Le forcer? Aucun levier sous la main. Quelques coups de poing assourdis sur la porte récalcitrante, rien ne cède. Tout est enfermé, dans les rangements comme il se doit, ne pas encombrer l’espace, dépouillé, agréable mais restreint. Le matériel d’exercice physique aussi. Il ne reste qu’à attendre, à s’allonger sur le lit. Réciter quelques vers, le maximum d’affilé. Chanter aussi. La voix ne suit pas. S’endormir donc, comme son corps le suggère?
Mais attention au retour du cominateur, la chronologie des opérations matinales pourrait être maintenue, le lit doit se transformer en banquette. Avant ou après le lever du store? Curieuse sensation. De l’humidité sur la peau, sur le corps, partout. Il s’est assoupi, somnolant dans ses interrogations, hors de sa housse hygiénique. Une première. Impossible d’oublier la housse habituellement. Elle se présente, renouvelée, ouverte, lors de la transformation de la banquette en lit, elle s’offre à l’heure du coucher. S’y étendre après s’être déshabillé, tirer le zip hermétique après avoir ajusté le masque et se laisser recouvrir de sa douceur, comme d’une compagnie, d’une compagne, pour la nuit. Au réveil, masque, zip et membrane se retirent, tels une vieille peau, immédiatement aspirés par l’orifice du récupérateur, tout proche. Mais pas ce matin. Passer le temps, voilà l’occasion d’inspecter la housse de plus près, telle qu’elle ne s’est jamais présentée. L’intérieur a gardé sa netteté satinée, sa douceur, son parfum. Quelques traces cependant en regardant bien, plus ou moins denses, sorte d’empreinte du corps, quelques poils. De plus près encore, une légère odeur nuance sa fraîcheur en suivant les traces et leur intensité, pas désagréable. En tout cas moins que le liquide qui continue de le recouvrir et qui commence à l’incommoder.
D’où vient ce liquide? Étrange. Faute de cominateur valide, les réseaux physiologie ou santé ne peuvent lui apporter de réponse. Un début d’agacement, l’interrogation et la crainte, ... "
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Et, page 231, après la lecture du message de son grand-père :
“Je voulais que tu connaisses intégralement ce message qui illustre si bien mes relations avec ton grand-père”. Dou en transmettant cette traduction à Lucas, ne lui a révélé en fait que la deuxième partie de l’ensemble du texte de Léo qui commençait ainsi. “Partager avec toi, mon cher Dou, la joie d’un dernier échange en hiératique, c’est mon souhait avec cette lettre. Partage différé pour toi, postume pour moi. Son porteur, il a dû se présenter, est l’un des enfants dont j’ai accompagné les premières années au Renouvellement, le plus prometteur, le plus sensible. Il devrait être bien dans sa peau et dans son monde, néanmoins un enfermement solitaire pendant de nombreuses années pourrait l’avoir marqué. Si tu ne le trouvais pas heureux, en souvenir de notre amitié, fasse qu’il le devienne...” Voilà vraiment le plus important du message de Léo, ce qui lui ressemble le plus. Le plus touchant, la vraie raison de cette écriture inusitée, de cet effort, l’occasion de cet exercice complice. Ému de la générosité de ce geste et de la confiance qu’il lui portait, il avait observé Lucas avant de prendre la moindre initiative. La joie et l’enthousiasme que dégageait ce garçon ne laissaient aucun doute, il n’était pas malheureux. Son besoin d’affection ne relevait pas véritablement d’un manque, mais d’un équilibre, d’une gourmandise. Dont il se régalait aussi. Léo aurait été ravi de le savoir ainsi, de les savoir ainsi réunis.
La suite du message avait un peu troublé Dou. Une péripétie plutôt qu’un testament, s’il la rapporte aux travaux de Léo. A-t-il voulu lui dire qu’il n’avait pas abouti dans ses recherches sur ce thème? Pourquoi un tel développement, aussi élémentaire? De toute évidence, il ne pouvait lui être destiné. Il ne pouvait intéresser qu’un néophyte. Tout désigné. Lucas. En vue de son éveil et de son initiation, par Dou. Le triangle se formait, indissoluble, encore la Règle de trois. Seulement Dou en savait un peu plus que Léo sur Lucas. Contrairement à Dou, et à Léo d’ailleurs, qui s’étaient spécialisés dans leur domaine, Lucas devait éviter de s’engager dans un tel parcours s’il voulait poursuivre celui qu’il avait choisi, délibérément généraliste. Il n’était pas question pour Dou d’en décider, mais de bien se le rappeler afin d’éviter de l’influencer à l’excès vers une voie qu’il sait passionnante. Mais qui pourrait devenir envahissante. C’est pour concilier tout cela qu’il décide de transmettre cette partie de la traduction à Lucas. Et seulement celle-là. Elle constitue en soi un premier pas vers l’initiation, le pas que Léo souhaitait lui faire faire sans doute, une première sollicitation de la curiosité du novice. En l’émettant, Dou s’interroge déjà sur la réaction de Lucas. Il ne s’attendait pas à la première.
“Léo ne t’a pas parlé de moi?”. “Euh, si ! Pour m’assurer que tu étais bien heureux. C’est le cas, non?”. “Je crois. Surtout avec toi”. “Seulement?”. “Non. J’ai des activités intéressantes comme tu sais, une ami formidable... euh, deux maintenant. J’aime ma vie. Même si je sais qu’elle pourrait être encore meilleure”. “Eh bien, tout ça est parfait”. Feint de conclure un Dou, tout de même satisfait de ce qu’il vient d’entendre. “Mais tu ne voulais pas qu’on parle du message de Léo?”. “L’as-tu enregistré?”. “Si, bien sûr...”. “Eh bien je te propose de le relire et de me poser des questions, si tu veux la prochaine fois que je te rappelle”. “Excellente idée !”. Lucas relit le message sitôt après avoir quitté Dou. Frappé de retrouver le sujet commun de tous ses interlocuteurs, quasi obsessionnel. Pourquoi en est-on là? Comment en sortir? Questions, maintes fois posées, enfermé dans sa case par la panne, questions bien compréhensibles pour ceux qui ont connu le changement. Mobilisation de toute l’intelligence et de la connaissance au service de cette cause.
L’idée de Léo l’impressionne, mais il se demande comment des textes ou des symboles aussi anciens pourraient orienter les recherches actuelles. Celles-ci disposent des progrès scientifiques et des moyens technologiques accumulés et amplifiés au fil des siècles, infiniement plus puissants. Léo oppose aussi la méthode de l’Égypte pharaonique à “l’approche analytique de ses fossoyeurs” qu’il rend responsables de la catastrophe écologique. Une démarche coupable que Lucas ne peut s’empêcher de rapprocher des “forces maléfiques” qui ont poussé l’homme à ses mauvais instincts et des “falsifications historiques” conduisant aux “impasses et déviances” fautives citées dans la lettre que Léo lui a adressée personnellement. Il espère que Dou va pouvoir l’éclairer, ayant participé à des travaux communs, et en particulier au Préambule où sont inscrites ces fautes. Autre question qu’il posera à Dou, en quoi se rejoignent l’Afrique et le passé lointain? Encore et toujours son grand-père, ses notes, en des circonstances décisives. Au travers de ses écrits, se découvre un nouveau grand-père, aussi inquiètant, mystérieux plutôt, que l’autre était rassurant. Pour le sortir de l’enfance, à moins que ce ne soit déjà fait et que ce soit alors sa propre perception qui ait changé. Il l’aime tout autant, il découvre l’homme de conviction et de combat, empreint d’humanité et de respect pour la nature, à leur service, l’homme qu’il veut être. Il y travaille. Léa le suit et l’aide. Il pense à sa mission, colossale, il lui faudra beaucoup de maîtrise pour savoir s’arrêter à temps. Jusque-là il ne s’en tire pas trop mal.
Et encore cette interrogation. Pourquoi lui pour ces missions? Léo et Léa ont connu Dou, ils se sont connus, quels ont été leurs rapports? Une piste non abordée, pudeur ou ne rien changer à ce qui marche. La vraie question est autre. Pourquoi un si jeune homme, sans passé, sans expérience, bientôt à un tel niveau de responsabilité stratégique? Hasard, favoritisme ou volonté délibérée? “Souviens-toi que ce qui préparait l’avenir n’avait jamais été aussi malmené que dans le dernier demi-siècle occidental. La nature et la jeunesse tout particulièrement. Petite enfance ballotée, danger du sida, drogue, péchés d’adolescence réprimés, précarité, dons humiliants d’ascendants, petits salaires, chômage, réussite par le “piston”, la triche, le jeu, voire la délinquence, l’exemple pour ne pas dire les valeurs de l’époque, ivresse audiovisuelle, isolement informatique... rien ne fut épargné aux jeunes. Même la fin du service militaire obligatoire. Une chance au contraire? Pure démagogie, avec des conséquences désastreuses. Surtout pour les enfants de l’immigration, certes privés d’accès aux armes pour rassurer les craintifs, mais aussi et surtout d’intégration sociale, ce que les mêmes leur reprochaient ensuite. Bien sûr il aurait fallu en faire un service civique, le démilitariser, les premiers mois de leur majorité ensemble, tous, sans exception”. Des propos de Léa, sa confiance dans l’avenir en faisant appel à la jeunesse. À sa jeunesse. Hors de ce passé, mais apte à en tirer les leçons, sans s’enfermer dans l’étroitesse de la spécialisation. Son profil. Les autres l’y aident, des opérationnels avec et pour leur expérience, lui-même aidé par les circonstances, Hélène la militante et Dou l’érudit. Des gens clairs, la première qui a peut-être accentué certains aspects de ces réalités dans l’élan de réminiscences révoltantes parfois, le second qui cherchera sans doute à les expliquer.
COUCHER DE SOLEIL
Depuis qu’il a découvert la fascination de l’horizon, il arrive à Lucas de sortir retrouver cet endroit d’où son esprit s’évade. Ce soir, sur le point de se coucher, le soleil dilate à vue d’oeil son disque doré dans le ciel d’un jaune incroyablement torride. Brillante, la mer scintille d’une infinité d’éclats mobiles et souligne la géométrie de l’embrasement. Ainsi que son évolution, tranquille. Toute son attention fixée sur l’engloutissement lumineux, Lucas n’a ni vu ni senti la présence humaine en train de s’installer à son côté. Subjugué par les chatoiements, les variations des teintes et des intensités, il contemple, immobile, serein.
-Magnifique coucher de soleil...
Cette voix, pourtant douce, le fait sursauter. Au travers des masques il reconnait les yeux d’Ida. Surprise ! Il ne l’avait pas revue, en réel, depuis leur rencontre dans le bureau de Léa. Autour d’une bouteille de vin se rappellent-ils ensemble aussitôt en souriant.
Détendus, ils continuent de parler dehors malgré l’encombrement de leurs tenues. Il fait bientôt nuit, nuit noire et, le réalisant, ils décident de rentrer dans leurs cases respectives. Une rangée et trois petits blocs les sépare. Ils se promettent de se revoir, de se rappeler. Lucas sait qu’il dispose de peu de temps, et qu’Ida encore moins. S’ils y parviennent tant mieux.
Tenue de soirée et dernier coup d’oeil au cominateur avant de s’endormir.
Il aura fallu la disparition d’Hélène pour que Lucas réalise à quel point une présence féminine lui était agréable. Il avait vu peu de femmes, en vrai, dans sa vie. Sa mère d’abord, sans aucun doute mais il ne s’en souvenait pas. Ses rencontres lors de ses sorties, elles restaient plutôt distantes, impersonnelles par la force des choses, la sienne peut-être. Depuis peu les choses changeaient. Il y avait eu Léa bien sûr, il y avait Hélène, Ida aussi, mais Ida, bien qu’il ne connaisse rien d’elle vraiment en dehors de son rôle éminent à l’Autorité, prend, comme Hélène, une place particulière. Elle lui inspire le respect avant tout, sa gentillesse et sa beauté lui plaisent, l’intéressent. Il aimerait bien la connaître davantage. Elle vient de se manifester à nouveau, il s’en réjouit. Il espère une rencontre prochainement, il ne s’imagine pas la provoquer, à moins que les circonstances ne s’y prêtent. En attendant il s’en remet au hasard. Voilà déjà deux fois qu’il les met en présence. Rien ne presse d’ailleurs, ils auront toujours plaisir à se revoir. Un peu plus avec le temps? Ne rien précipiter, rien ne manque. Il sait simplement à présent où se situe sa case, il y pensera peut-être en passant. Elle ne se trouve pas directement sur le chemin du bloc, un détour minime. En tout cas il a été ravi de la revoir dans ce langoureux charivari crépusculaire. Ardent. Éphémère. Trop sans doute. Dommage que doivent s’interposer les combinaisons de protection à l’extérieur. Difficile de se reconnaître, de loin surtout. Lucas en a bien assimilé les impressions d’identification pour le strict nécessaire, pour la sécurité, il va peut-être devoir les comprendre. "
un conte "oriental" vers d'autres découvertes, parfois torrides...,
non pas ici, page 186 :
Après les Pyramides et les peintures de multimillénaires, il n’a rien vu d’aussi impressionnant. Pourquoi la “régression” évoquée par son grand-père lui revient-elle à l’esprit en ces instants?
-Voilà un des points sur lesquels nous n’étions pas tout à fait d’accord. Pour lui, depuis le début de notre ère, depuis l’Ancien Empire, l’humanité, la civilisation, n’étaient qu’en perpétuelle régression, au point que le soit-disant progrès avait failli les détruire, détruire la Terre.
-Un constat incontestable.
-Certes, mais sur la cause, j’étais et je reste plus nuancé. Il n’y a pas une, mais des régressions. Et là, un pluriel inférieur au singulier.
-Tu veux dire que la régression était la somme des régressions.
-C’est ça, leur conséquence aussi. Un domaine où la régression n’apparaissait pas évidente, loin de là, la science. Aux extrêmes surtout, alimentés par les moyens qu’elle générait elle-même au fur et à mesure de ses avancées, jusqu’aux technologies les plus pointues, plus performantes, toujours, donnant accès à chaque étape à l’impossible antérieur. Par exemple pour la santé. La génétique, la connaissance de la vie, au plus profond, son organisation à partir d’un nombre extrêmement limité d’éléments, quatre seulement !, et de mécanismes simples, communs à tous, à toute la vie, à la spirale adénique, à l’enchaînement génomique, la chaîne du vivant, de l’abîme à l’amibe, de l’amibe à l’homme, à la conscience, à la connaissance. La plus extrême des complexités ouverte, apparemment maîtrisée. En fait, nouvelle source de savoir.
-Époustouflant, je sais.
-Une expression des plus impressionnantes, des plus captivantes, des dernières avancées de la connaissance. Cela du moins tant que la science, dans cette formidable mécanique, ne se trouvait perturbée par des facteurs externes dont on sait que la plupart venaient du progrès lui-même. Des moyens qu’il offrait, des appétits qu’il suscitait. Des risques ainsi provoqués, sans aucun doute au départ avec les meilleures intentions, par la négligeance des uns, l’avidité des autres, industrielles et économiques, pour ne citer que les plus significatives et qui se sont révélées les plus ravageuses, les plus controversées aussi, tu te souviens de nos discussions...
-Bien sûr. Et tu sais combien je les apprécie.
-Eh bien, c’est là que Léo parlait de régression. Pour justifier les dérives liées au pouvoir, domination, guerres, répressions, usage de la violence, de la terreur, exploitation abusive, triche et mépris, des théories expliquaient en effet que tout cela était inhérant à la nature humaine, donc qu’il fallait bien s’y soumettre et l’accepter. Les explications religieuses s’étant discréditées à maints égards au fur et à mesure des progrès scientifiques, avec les avancées rationnelles dans la connaissance, on affirmait alors que c’était dans ses gènes, son origine animale, le loup, la meute, le territoire à défendre. Ainsi la génétique, aussi stupéfiant que cela pût paraître, pouvait servir aussi à un certain asservissement et contribuer, pour sa part et paradoxalement, à la regression intellectuelle et sociale. Il était retors, souviens-toi. Mais surtout, il faut le redire, dès lors qu’il s’agissait de l’Égypte.
Lucas s’amuse beaucoup de ces digressions. Son grand-père était peut-être retors, mais avait-il tort de s’indigner de tout ce qui visait à asservir l’homme? Même et surtout à l’influencer ainsi, sans qu’il s’en aperçoive vraiment, par petites touches, infinitécimales, quasi imperceptibles, redoutables à force parce qu’incidieuses.
À propos d’avancées scientifiques, l’actualité n’en est pas dépourvue.
-Ce qui m’a le plus frappé dans les explications données sur les phénomènes atmosphériques, c’est la théorie des contraires. En outre celle-ci met un peu plus en évidence la complexité des processus en action dans la perturbation qui affecte notre atmosphère depuis un quart de siècle. Autant que la multiplicité des pollutions, la diversité des réactions et leur incongruité sous ces effets conjugués. Sans ces réactions le cataclysme se serait-il produit? Sans elles aurait-on des chances d’en sortir?
-J’avoue avoir un peu de mal à te suivre.
-C’est très simple pourtant. Sans réaction, l’action ne vaut rien.
Lucas sent là quelque chose de très fort.
Se souvenir que dans l’action, il faut se soucier autant de la réaction que de l’action elle-même, sinon plus si l’on veut qu’elle réussisse. Inversement, si la réaction à son action se révèle bonne, c’est qu’on n’y est certainement pas étranger.
C’est bien cela. Son bonheur, ce qu’il vit, ce ne peut être seulement une gratification du hasard. Lucas doit y être pour quelque chose. C’est formidable. Ah, si son influence pouvait aller au-delà ! Sur le cours des choses, sur la nature !...
Le vertige !
Porté par tant de belles et bonnes choses, Lucas ne va-t-il pas perdre pied? Se laisser emporter par de nouvelles musiques, se laisser envoûter par ses propres chants, par sa propre allégresse? Se perdre dans l’éblouissement de ses idées, dans l’étourdissement de ses pensées, d’une spirale qui s’élèverait, de plus en plus incontrôlable, vers la démesure de ses sentiments, l’illusion de sa réussite, de rêves insoupçonnés de puissance et de gloire? La folie des grandeurs? La folie.
Tout y concourt. Ceux qui l’ont formé, qui l’ont aidé, qui l’ont éclairé, qui l’ont aimé. Ce qu’il a appris, compris, cherché, osé, vécu.
Heureusement que son voyage en mer s’est mal terminé, hélas tragiquement, qu’il ne peut considérer que tout, absolument tout, lui réussit, ce qu’il connaît, ce qu’il rencontre, ce à quoi il participe. Même s’il ne s’agit d’un échec, ni pour ceux qui l’accompagnaient, ni pour lui, il ne peut s’attribuer la chance absolue. Sauf à considérer l’incident comme l’exception qui confirme la règle, au comble de la complaisance.
En tout cas, mêlant étrangement présent et passé, phénomènes et causes, observations et réflexions, de digressions en élucubrations ne finirait-il pas par divaguer?
Il a compris tant de choses sur le monde incroyable auquel il appartient, la survie quasi artificielle après le cataclysme, des révélations récentes, tout son esprit et son temps mobilisés depuis lors, sa propre découverte et celle de ceux qui l’ont transformé, les proches qui l’accompagnaient, les autres, les anciens et leur part d’horreur, comment l’oublier?, les contemporains, ses frères d’espoir.
Une accumulation fertile qui a ouvert son esprit et son appétit, sa curiosité et sa gourmandise. Jusqu’à le rassasier?
Tant que rien, tant que personne, tant que Dou ne le reprendra pas, ne reprendra pas ses élans, ses excès, pourquoi ne continuerait-il pas? Jusqu’à l’étourdissement s’il le faut. Ainsi protégé, pourquoi se freiner? Pourquoi se priver? Au bout, aller au bout, au plus loin de ses connaissances, de ses sens, de sa vie, comme il le fait de ses sentiments, comme il l’a fait de son corps.
Rien ne devrait plus lui résister. Rien ne lui a jamais résisté d’ailleurs. Ni personne. Il est irrésistible, invincible, indestructible.
Dans l’ivresse de l’amour et de la réussite, ne recommencerait-il pas à flotter? Des visions à l’emporter, il s’envole, saisi par les serres acérés d’un énorme oiseau, suspendu sous l’envergure, la démesure, la force du rapace, porté par d’amples battements d’ailes, d’immenses plumes fauves largement déployées dans l’air tiède, il flammerge, se dégage, il vole, il s’aime, plus de crabe écarlate, plus de poche vomissante, plus d’ectoplasme échoué sur la plage, simplement le calme d’une mer étale dans le vague, d’une terre noire fraîchement labourée, il sème, l’herbe pousse à son passage, les champs reverdissent, l’humidité revient, les nuages, les pluies fertilisantes, les ruisseaux, les rivières...
Le Nil coule majestueusement, la vallée fertile, courir sous les palmiers, les voiles des felouques, l’île Éléphantine, la dune dorée à gravir pour se perdre dans le désert nubien...
Mais que lui arrive-t-il? Il déraille, il devient fou. Dou, au secours ! "
Suit le chapitre III, vers d'autres réalités, contrastées.
C'est en effet le premier des "Conservatoires Naturels" annoncés dans le roman de Trevor Narg, ces abris destinés à pérenniser la vie que l'humanité actuelle, du moins ses assassins, sont en train de détruire méticuleusement.
Cette sauvegarde des espèces végétales menacées, celles qui restent après l'hécatombe provoquée par l'agriculture intensive et les agrocarburants maintenant, est une information de plus qui accrédite la pertinence de 5021, 5022, 2053 le réveil, la trilogie.
5O22 la suite en Égypte, les pérégrinations du jeune Lucas vers de nouvelles découvertes.
Le roman se situe dans un futur proche, celui que nous préparons en ce moment. Du moins si rien ne change, des pratiques et des hommes actuels. Les réductions de GES prévues à Kyoto étaient insuffisantes et, depuis, la Chine et l'Inde explosent ! Ici ce n'est qu'une hypothèse, le climat et l'atmosphère sont détériorés, la vie terrestre privée de ses éléments fondamentaux.
Dans cet univers hostile, les survivants doivent s'organiser, c'est 5021, l'autre monde . Puis, des décennies sans pollutions, une amélioration s'annonce. L'atmosphère change, à Assouan, deux gosses ont pu sortir de leur case sans protection et gambader sans être foudroyés. Les experts du monde s'interrogent et se rendent sur place. Lucas y est envoyé en observateur.
C'est cette aventure que raconte 5022, la suite en Egypte . Un voyage initiatique pour le jeune homme qu'il est encore et qui a vécu toute sa vie enfermé dans sa case avec, comme seule ouverture au monde, un écran. Un voyage qui lui réserve bien des découvertes, celle des autres, la sienne, celles du plaisir, de l'amour et de bien des émotions. De l'Egypte aussi, l'éternelle intacte mais le Nil asséché.
Dans ce futur étrange, tout se passe en effet autrement. Le roman y trouve sa coloration et ses surprises. Jusqu'au délire parfois. Le roman du bonheur, au karkadé, de l'amour, à la fleur d'oranger.
Le coeur de la trilogie, entre 5O21, l’autre monde, et 2053, le réveil.
Petit "blog à part"
5022 , une histoire d'amitié, un roman d'amour ? Plus encore, peut-être. Des sentiments à nu, des sens exacerbés dans une quête de savoir, une conquête libératrice.
Un conte oriental. L'Orient proche et insolite, tapis volants et hammams aussi. Désorienté, le jeune héros ne l'est plus, il trouve sa voie et s'épanouit.
L'histoire se déroule dans un futur proche, celui peut-être que nous préparons actuellement. Le héros, né peu après un cataclysme climatique majeur, se rend en Afrique pour une mission liée à la catastrophe. La première occasion pour lui de sortir de l'isolement dans lequel la rigueur de l'environnement l'a confiné jusque-là, comme les autres survivants. Son premier contact direct avec les autres et de nouvelles ambiances ; à sa propre découverte, ses premiers émois, l'amitié, l'amour, la surprise de son homosexualité. Et bien d'autres encore.
Une escapade sensuelle, du sentiment et du plaisir sans retenue, à l'extrême. "De sel, de sucre et d'épices", le roman n'est pas que cela, c'est l'évasion, la réflexion, du bonheur à portée de tous.
L'histoire vient d'être résumée, mieux encore à la lecture du livre le plaisir d'en découvrir les ambiances et les péripéties. En donner ici des extraits risque d'en réduire l'effet de surprise, c'est la raison de ce "blog à part" ; mais un risque à prendre aussi à destination de ceux que ces extraits pourraient mettre en appétit. Et ce n'est qu'un avant-goût...
Page 59
"Il était tellement bien, à savourer tranquillement un bonheur nouveau, entier, sans véritable raison ni conséquence autres que de se connaître un peu mieux. Il espérait s’endormir sur ces pensées, bordé par la présence de celui qui l’a révélé un peu plus encore, à lui encore quelques heures. Pourquoi faudrait-il qu’il ait à le partager? Les sensations se précisent en ce sens, dans la multiplication des mains. Pourquoi faut-il que ces doigts, que ces paumes, trouvent et fassent ce qu’il faut pour faire tout oublier, se laisser aller à eux, à leurs jeux, à y succomber? Plus de retenue, que du désir bientôt. Encore. Un peu plus encore avec la profusion des contacts qui enveloppent le corps, non seulement consentant mais bientôt demandeur, un peu, toujours plus. Avide de ces sollicitations doublées, multipliées, dans l’infinité des possibles, dans l’affinité des attentes, accentuées entre elles, à l’envahir, à défaillir. Au point qu’il aimerait grandir, se dilater, pour en offrir, en recevoir davantage, s’élargir en des positions, des mouvements, portés par les deux autres jusqu’aux contorsions les plus inconcevables dans le mélange des membres et la confusion des chairs, les délicatesses les plus intimes, les brûlures les plus profondes, douceur et douleur du plaisir extrême, du don de soi, de l’autre, de l’autre aussi, attentionnés, du monde, de l’esprit, du tout qui chavire, submergé, inondé, de bonheur et de délectation confondus dans l’entrelacs humide et haletant des corps incandescents, interpénétrés, engloutis, fondus. Dans la fusion des chairs et des coeurs déchiquetés par l’explosion des sens et du sens. Bouleversement intégral, épectatique. Toutes perceptions tourneboulées, le corps encore en feu, comblé, rassasié, Lucas n’en peut plus. Ce qui lui reste d’énergie rassemblé pour goûter le calme revenu dans le désordre odorant qui l’enveloppe. Pourvu que le troisième ne vienne pas les rejoindre ! ..."
Page 46
"Il ne sait toujours pas s’il doit réagir. Peut-être n’est-il pas trop tard ? Aucune répulsion. Au contraire, son corps lui dit non, surtout pas, ne laisse pas passer, vis à fond cette expérience étonnante. Sa raison s’interroge. Un peu troublée sous l’effet des caresses. Pourquoi refuser cet échange s’il lui plaît et si, de plus, il plaît à l’autre. Le devrait-il ? X, Y ou Z ? Qu’importe finalement, il ne leur veut que du bien à l’un ou à l’autre, il les aime bien, depuis le début du voyage. Cet autre en train de lui soulever le torse, délicatement mais avec force, et de lui retirer sa chemise. Le drap qui les séparait, ce drap dont il s’était servi pour l’immobiliser, s’évacue également. Ne restent plus sur la couchette, de plus en plus étroite, que deux corps nus, Lucas le sent partout maintenant au contact de l’autre, et une tension qui s’accroît. Et il devient hystérique lorsqu’il sent quelque part quelque chose d’incroyable, de fulgurant et d’infime à la fois, la pointe d’une langue, une langue commence à le lècher, sur la poitrine d’abord, puis vagabonde lentement, humide, torride, au hasard sur le reste de sa surface, sur sa peau en folie. Il en crierait tant ses sens exultent. À hurler. Il voudrait y échapper, c’est trop fort. Le voudrait-il vraiment ? Que lui arrive-t-il ? Il laisse faire, trahissant ses sensations par de petites convulsions çà et là et un souffle haletant, tantôt retenu, suspendu, tantôt relâché, à l’abandon. Que c’est bon. Trop fort, vraiment trop. L’autre le dévore, il s’en régale, se régale, il attend un geste, une réponse plus consentante, plus volontaire de sa “victime”..."
Page 148
"Tout à ce qu’il perçoit dans cette demi-pénombre, à l’odeur indéfinissable mais bien présente, incapable de choisir entre continuer de regarder ainsi, passivement, répondre à l’invitation ou s’approcher comme l’envie l’en prend, Lucas se sent soudain pris d’une violente excitation, une excitation qui n’échappe pas au regard rieur de l’éphèbe face à lui. Qui, dans un naturel déconcertant, s’approche tranquillement et l’aide à ôter sa protection. La surface de la bâche paraît immense, plus que jamais, son ampleur et ses plis n’en finissent pas, des mouvements qui le frôlent et accroissent le trouble, la tentation, l’envie d’un corps à corps immédiat. Irrésistible. Doux et viril, le simple contact des peaux, des muscles, le rend fou de désir. Vite, tout de suite, rien d’autre, s’accoupler, un peu de salive, beaucoup d’envie, le feu de la passion physique, sensuelle, les dévore, les irradie, les incendie, les brûle, une inflammation ravageuse, écarlate, le tapis volant s’évade haut dans la fournaise, l’invasion solaire, éclatante ... "
Page 269
"Passent les jours, les heures, les nuits, privé de W, de sa présence, de sa chaleur. L’absence, des sensations de manque, une indéfinissable tension, une lente montée d’excitation naturelle grandissent, subtiles, à l’intérieur de Lucas avec les jours. Elles l’envahissent fatalement, corps et esprit, de temps en temps, dans cette solitude mêlée d’attente insatisfaite. De l’extérieur aussi, d’autres le ressentent-ils peut-être, y sont-ils sensibles. Ali l’est. L’intérêt qu’il porte à Lucas sans doute. Il est là à chaque fois que cela le prend. Non pour le solliciter ni ajouter à sa gêne, mais pour tenter de l’aider, le tenter aussi, si cela pouvait le satisfaire. Lucas n’est pas insensible à pareille attention, surtout venant d’un être exquis qu’il aurait peut-être suivi s’il avait été libre. Libre il l’est, Ali le sent bien, il aime cependant, il aime quelqu’un d’autre, Ali le comprend. Surtout sur les rives incertaines de la tentation où Lucas le laisse approcher, imprudemment ressent-il alors..."
5022, encore ?
Et bien d'autres choses à découvrir.
Page 68
"Prolonger le passé, étendre l’avenir, tenter de les fondre, de les confondre afin d’éliminer le creux dans lequel il se sent errer. Dans le bleu encore. Qui l’attire, qui l’aspire à présent dans ses profondeurs, les profondeurs marines, de plus en plus denses, de plus en plus sombres, les abysses, leurs fantasmagories, leurs monstruosités et leurs mystères. Toujours plus loin, toujours plus risqué, se perdre, l’anéantissement assuré, sous compression, dans l’étouffement, l’implosion, déchiqueté, dévoré par d’effrayantes mâchoires et d’infimes mendibules, des épouvantables requins aux minuscules crevettes, petites pattes et antennes mobiles par milliards, sauvés des agressions atmosphériques par les grands fonds. Au moment de la quitter, l’eau deviendrait son élément, le principe vital. Pour la première fois de sa vie, sur ce bateau, elle a léché l’intégralité de son corps chaque jour, elle s’est insinuée dans ses interstices les plus intimes, demain ce sera fini, housse nocturne et combinaison diurne pourvoieront aux échanges et autres besoins..."
Page 242
“ ... plus rien des vexations et des sanctions qui ont poussé tant de gens au désespoir, à la folie ou à la clandestinité pendant des siècles. Par ignorance, intolérance ou méchanceté. Cela ne faisait qu’accroître les privations et les envies, amenant certains aux plus grands débordements. Jusqu’aux rencontres nocturnes en des lieux excentrés, sordides, s’y reconnaître et s’y donner, sans manières et sans attendre, sans retenue, à fond, à découvert, jusqu’aux extrêmités les plus insoupçonnables, isolés ou en groupe, dans des bois, des jardins, dans des chantiers, dans des bas-fonds, dans des pissotières, dans la fange, dans l’urine, dans la lumière la plus crue ou dans le noir le plus total, sans savoir avec qui, jusqu’où, des sensations incroyables et ultimes, ravageuses souvent, les maladies vénielles, puis mortelles, le sida, criminel, la violence aussi, l’infiltration de pervers refoulés et jaloux qui profitaient de la disponibilité, de l’ouverture et de l’insouciance ambiantes pour en abuser, et souvent après avoir abusé ou tenté d’abuser de leurs victimes, les dépouiller et les brutaliser, jusqu’aux pires sévices, jusqu’au pire. Plus calmes, plus hospitaliers, plus savoureux, les bains, les saunas, les hammams, carrelages brillants, vapeur, eau tiède, massages, serviettes et cabines, l’humidité commune, l’intimité moite et lascive, les douches tonifiantes. Des piscines aussi, d’autres espaces de vie et de rencontres, marginalisés, des lieux festifs, beaucoup de joie et d’amour. Et pas seulement physique. Des grands amours, durables, des vies entières, des couples magnifiques. La difficulté n’empêchait pas de s’aimer, au contraire. Ceux qui avaient connu ces époques pensaient que la clandestinité ajoutait une saveur et une intensité disparues en partie..."