Tout est dit, ou presque, dans cette anticipation éditée au début de l'année 2007 :
quelques extraits
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Une paix durable garantie. De même que cette architecture planétaire assurait avec un développement durable pour sa pérennité et celle de la vie. Le monde enfin devenu démocratique, à l’image de l’Ouest et grâce à lui, par la force au besoin, intégralement démocratique, à quelques détails près, mais de fond en comble souverainement, tous les élus avaient oeuvré pour cette organisation. Loin d’être parfaite, tous le reconnaissaient, mais la meilleure pour assurer la durabilité, la sienne d’abord, l’un des fondements de la stabilité, de la réussite dans l’intérêt de tous, du développement et du bonheur qu’il sous-tend. La formule avait fait ses preuves. Les représentants légitimes des peuples s’en chargeaient avec la détermination et le désintéressement qu’ils s’accordaient à se reconnaître. Les peuples votaient, les élisaient, la preuve qu’ils avaient raison. Une certitude donc. Le monde ne pouvait être mieux administré, dans la diversité des cultures des grandes puissances, la richesse de l’homme, de l’humanité, de ses apports depuis la nuit des temps, défendus par l’émergence de ce qu’ils avaient de meilleur, entre les mains des meilleurs d’entre eux, reconnus, élus.
Afin que pût s’accomplir leur noble tâche, dans l’intérêt des administrés en même temps que celui de la planète, ils disposaient des moyens les plus appropriés. De la communication en tout premier lieu. Tout à fait légitime puisqu’il s’agissait de leur travail le plus immédiat. La communication sous toutes ses formes, de la plus douce avec la parole, à la plus brutale avec les armes, les moyens de destruction les plus puissants. Question simplement de dissuader les agresseurs éventuels et de se faire respecter, qu’ils soient étrangers hostiles ou opposants internes. Pour le bon ordre et pour la sécurité des administrés qui le leur devaient bien, ils devaient pouvoir les protéger et ils le faisaient, d’eux-mêmes au besoin. Leurs élus étaient bien mieux informés qu’eux naturellement, en cas de difficulté ou d’incompréhension, il fallait s’en remettre à eux, leur faire confiance. En particulier dans les élections. Ne pas les suivre mettait en péril l’équilibre de l’équation mondiale garantissant la paix, le développement et un avenir radieux.
Il se trouvait toujours quelques curieux pour poser des questions, des réponses qui pouvaient ne pas les satisfaire, des récalcitrants même pour dénoncer les abus, certains la confiscation du pouvoir. Parfois des envieux en mal de reconnaissance, des aigris souvent, qui ne proposaient rien de constructif en échange, la critique stérile, irresponsable. Démonstration, s’il le fallait, leur était faite qu’ils ne comprenaient rien, les élus de tous bords se retrouvaient lorsqu’il s’agissait de défendre l’essentiel, eux seuls pouvaient incarner la modération et la responsabilité, les trublions n’y pouvaient rien. Les arguments de ces derniers, certes, pouvaient alimenter à la rigueur des débats, les ambiances électorales, heureusement personne de sérieux ne pouvait s’y laisser prendre. Surtout au moment crucial du vote. La démocratie jouait à plein son rôle. Les deux bords qui alternaient au pouvoir, qui se le disputaient, âprement, les discours en attestent, représentaient même s’ils étaient minoritaires l’ensemble des courants d’opinion responsables. Ils méritaient de l’exercer puisque élus légitimement dans le respect des règles constitutionnelles. Du droit. L’expression la plus achevée de la civilisation et du progrès au service des peuples, au service de l’homme.
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Une volonté de paix ainsi généralisée, un climat troublé néanmoins par des réactions violentes, des attentats sanglants. Aux vertus mobilisatrices d’une efficacité insurpassable. Il suffisait d’oublier de s’en protéger lorsqu’ils étaient annoncés pour que le risque augmentât. De la même manière que les frustrations et les mécontentements en les réprimant, assez pour les attiser. Certains dénonçaient là manipulation et instrumentalisation irresponsables. Oser ainsi critiquer, sournoisement par surcroît, le courage de ceux qui les protégeaient eux aussi n’appelait que mépris. Face aux périls, face à la terreur, il fallait bien se défendre, défendre surtout les populations et leurs intérêts dont ils avaient la charge. Le poids des responsabilités, le sens du devoir, l’exercice des pouvoirs conférés, faire son travail, “son boulot” préférait-on, tout simplement. S’en montrer digne. Pour le bien de tous, même s’ils ne le comprenaient pas toujours. L’oeuvre de générations de plus en plus avisées, de plus en plus déterminées, de plus en plus éclairées. L’oeuvre aboutie dans l’équilibre et le meilleur, l’équilibre des sept grands, le meilleur avec l’unanimité, la foi en des règles communes, désormais universelles, la foi dans la liberté, dans le marché et ses vertus. L’accomplissement. La preuve faite enfin, définitivement, de la valeur absolue et irréfutable de la loi de l’offre et de la demande, de l’argent, de la libre concurrence, du commerce ouvert sans barrières ni contraintes d’aucune sorte. La liberté dans sa plus belle acception.
EST
Tout humain digne de ce nom, tout individu responsable et de bonne foi ne pouvait que le reconnaître puisque ses anciens adversaires les plus résolus, les communistes, les Chinois, avaient fini par le reconnaître. Un argument incontournable, toute contestation de cette valeur ne pouvait être que suspecte. Comment encore mettre en doute ce qui a fait ses preuves depuis longtemps, la seule voie qui réussisse, aucune autre, toujours plus de richesses, toujours plus de bien-être, incontestablement. Bien sûr, des efforts, des sacrifices ont été nécessaires pour y parvenir à ce point, la nature et les hommes mis à contribution, ceux qui n’ont su se défendre ou qui n’ont voulu donner le plus en ont peut-être pâti, ils n’avaient qu’à agir, libres de se battre qu’ils étaient eux aussi. Une question de mérite, de justice.
Il se trouvait bien çà et là quelques nuances. Pour la plupart des scories culturelles, la preuve du respect des peuples, de leur diversité, s’il en fallait encore. Des dirigeants de la vieille Europe voulaient préserver l’ “exception sociale”, de même que la jeune Chine, l’ “exception socialiste” ; des contributions, contraires mais positives, à l’équilibre et à la dynamique de cette magnifique construction, l’édifice libertaliste en oeuvre. Un des gages de son intelligence et de sa vitalité, la prise en compte des relations sociales, la priorité humaniste. Chacun à sa façon. Pour rester avec ces deux géants, exemplaires sur ce terrain, leurs relations et leurs échanges l’étaient aussi, mais autrement. Un petit entrepreneur, membre du Parti communiste chinois, pouvait être reçu dans les ors des limbes présidentielles pour un achat industriel. Pour la branche télévision d’un fleuron national, une association livrant à bas prix usines de production et milliers de brevets. Quelques années après, l’heureux acheteur entrait dans les dix premiers mondiaux du téléphone, la première place dès lors à sa portée. Surprenante fierté des vendeurs, la technologie coquericaine portée au sommet du monde ! Mais désormais chinoise. La performance méritait bien une bénédiction. Des mêmes qui, à leur tour, se rendaient à l’Est pour rencontrer leurs homologues, la vente de produits coquericains toujours à l’ordre du jour, avec la même fierté des industriels et des médias, liste et chiffres considérés comme significatifs, porteurs de travail pour les mois à venir. Des avions, autre exemple d’une autre ampleur, il fallait vendre, commande historique s’il en fut ! Des accords de coopération industrielle, le montage délocalisé et la suite... Le court terme assuré comme il se devait, encore une fois. “Au détriment du long terme” se permettaient quelques oiseaux de mauvais augure.
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Pour revenir aux tractations internationales, les oiseaux de mauvais augure prétendaient incomplète une mission où la question sociale n’était pas abordée. Crainte de contagion, d’effet boomerang un jour... Une des raisons du déferlement des produits à bas prix qui commençait à parachever la destruction des industries adverses. Qu’en eût-il été des ventes ? Complexité des accords et du pouvoir qui, assumée, en fit un temps sa noblesse.
Là, tant pis pour l’avenir ! Ce n’était pas nouveau certes, mais cela devenait grave. Alors plutôt détourner les regards, s’attendrir sur le sort d’ouvrières, de petites mains souriantes du lit au banc de fabrication de l’autre côté de la rue. Travaillant deux fois plus pour dix fois moins, “heureusement avec une productivité plus faible” rassurait-on. Mais quelle leçon ! Le bonheur, resplendissantes de bonheur, “elles gagnent quatre fois plus que leurs parents” et se réalisent dans le travail pour l’entreprise, pour le pays. Un exemple attendrissant, un répère ! Une magnifique source d’inspiration. Pour tous, même pour des designeurs, ce pose-vêtement par exemple, ce fil pointé à ses deux bouts sur la cloison le long du lit, un minimalisme touchant. Oui, l’Asie, un exemple, tout en conservant son exotisme, notre monde si bien intégré, des gratte-ciel flamboyants couleurs crèmes glacées, mais de vraies pagodes post-modernes et bientôt records technologiques, des vêtements, des coiffures à l’avant-garde aussi, vingt cinq ans après l’uniforme Mao généralisé. Que de beautés, que de nouveautés, que de sourires. Oui, le bonheur après tant de souffrances, attendrissante mondialisation. Prometteuse.
Eux avaient compris, ils pouvaient tout acheter, sans conditions, à bas prix, il suffisait d’attendre.
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Face à cette réalité nouvelle, que d’interrogations ! Les politiques n’étaient pas seuls concernés, l’économique, l’argent, les entreprises se voulaient naturellement hors de cause. Prise dans les tourbillons des crises successives, la gestion patronale n’était-elle pas la seule à proposer des solutions, trop rarement suivies, et à créer les emplois ? À l’annoncer toujours. Pour le textile, qu’avait-elle fait du délai d’adaptation qu’elle avait obtenu ? De même des subventions publiques réclamées. Autant de questions perdues dans le flot de l’actualité, comme l’exemple des télévisions, du téléphone. Pas le seul, trop du savoir-faire et de la technologie fournis par le travail intellectuel et manuel de citoyens formés par la collectivité publique, non seulement bradés au profit de quelques uns et du court terme, mais définitivement perdus avec l’effet boomerang d’une dépendance durable, résultat d’un système qui se révéla aussi parasitaire que dévastateur.
Il avait fallu une grande frousse, peu avant la marche sur la Lune, pour que le systême donnât sa mesure. Une reprise en main pour récupérer le terrain concédé à des forces sociales aux prétentions débribées, des avantages accordés sous la pression de la rue, des étudiants, des pavés et des grèves. Une volonté unanime, des instruments et des moyens qui suivraient, une fois la détermination acquise, dans les soutiens et réciprocités politico-économiques, une fois le commerce libéré des règles gênantes, où que ce soit. Une fois en place, de puissantes organisations financières pour assurer sans faille la loi du marché, et leurs fers de lance, les grands groupes.
Les grands groupes . Que les meilleurs gagnent, mais quelques instruments pour cela. Pouvoir faire face aux crises les plus sévères : énergie, pétrole, caprices des producteurs, insécurité et rareté en perspective, et aux bulles spéculatives, financières, immobilières, imprévisibles. Compétitivité pour commencer, ajustement des moyens, optimisation des ressources et, pour la meilleure adéquation avec le monde ouvert, des ressources humaines, la mobilité, la productivité et la réalisation personnelle. Volonté et imagination à l’oeuvre, la flexibilité, souplesse pour tous, concentrations et économies d’échelle au gré des opportunités, les alternances de diversifications et de recentrages, de même que les délocalisations : certes avec les ajustements, nécessaires hélas, des fermetures d’usines aussi et des licenciements. Prises de risques sanctionnées par les résultats, un excellent travail justement récompensé, donc les actionnaires, les profits augmentaient, garantie de santé économique de ces entreprises et de leur pays, le civisme économique.
Mal compris souvent. En particulier des “victimes de ces manipulations”, les sans emplois, bientôt sans abris pour beaucoup trop, les plus vulnérables. Pour la plupart, ceux qui avaient bien travaillé pour l’entreprise et non pour s’en préserver, les gens sérieux, les braves gens, ainsi bien plus exposés que des parasites qui pouvaient continuer d’y prospérer. Des victimes indemnisées toutefois pour leur permettre de retrouver un emploi, qu’elles s’en donnent la peine et qu’elles acceptent, elles aussi, de s’adapter à la situation nouvelle, à la compétition, elles en sortiraient renforcées, grandies. Les autres, les solidarités nationales devraient s’en charger.
Pour que les “dégraissages” puissent s’opérer sans nuire à l’entreprise, il lui fallait au préalable consolider ses compétences ...
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En tout cas, pour ce qui est de la dernière mondialisation économique, son existence ne devait rien au hasard, préparée et construite pas à pas. Complot ou pas, TVA, qualité, grands groupes, usines et tranferts de technologies ne devaient rien au hasard. De même que ses dérives.
Il fallait bien s’adapter à la concurrence internationale disaient-ils fort justement, mais, organisée à leur façon, ils en étaient responsables. Les conséquences ? Pour les suivants, pour les autres. De plus sans avoir à en rendre compte. Et pas seulement au Ciel !
Qui mieux placé pourtant que les gens de pouvoir pour savoir que, de compromis en habiletés, le pouvoir pervertissait. Qui mieux placé pour en abriter la masse de citoyens qui en étaient dépourvus. Pour les aider à rester toujours plus nombreux, à aider ainsi au maintien de la droiture, toujours plus sur le monde, pour le bien de tous. Et que le pouvoir restât en très peu de mains, les leurs, les risques étaient trop grands, les richesses trop limitées, la communication trop sérieuse. Et les apparences trompeuses, ceci ne démontre-t-il pas combien ils étaient méritants.
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Alors que paradoxalement s’affichait un optimisme mondial flamboyant comme le luxe, les frasques et le clinquant des riches médiatisés en mal de gaspillages, et que la vie du plus grand nombre ne cessait d’empirer, le dérèglement climatique entretenait une sourde inquiétude dont il était fait le meilleur usage. Après l’avoir longtemps nié ainsi que son rapport à l’activité humaine, la société de “précaution” veillait à répondre aux dérapages écologiques, même après coup, au moins médiatiquement, de préférence infantiliser plutôt que responsabiliser pour se couvrir. Non seulement sur le climat mais sur l’écosystême, la santé, la misère, sur les dérapages consécutifs à ceux de la mondialisation.
Difficile de savoir vraiment s’il était encore temps et que faire. Sinon de s’en remettre au destin, à ceux qui le tenaient entre leurs mains. N’avaient-ils pas réussi, dans l’adversité de l’équilibre concurrentiel, à maintenir l’essentiel, un Nord en paix avec des niveaux de vie relativement satisfaisants pour ses habitants, ceux qui s’en tiraient ?
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Ressentie depuis des années au travers d’une paranoïa croissante et de plus en plus autiste, l’escalade avait fini par sortir du petit cercle des initiés. Personne n’oubliait la revanche à prendre par une Chine maintes fois humiliée par l’Occident dans le passé, à commencer par l’ère industrielle qui l’avait privée de sa suprématie commerciale pendant des siècles. Les intimidations se devaient de retentir haut et fort. Avec la maestria acquise au fil du temps et du conformisme, les médias géraient le chaud et le froid au gré des tendances. Des ficelles un peu grosses pour ceux restés vigilents, il en restait, en dépit des difficultés qui leur étaient faites. À contre-courant décidément du temps, à la fois plus et moins nombreux, plus dans leur détermination, moins en nombre, ce que ne manquaient pas de relever statistiques et sondages au service de l’information objective comme il se devait.
Depuis bien longtemps, les populations s’accommodaient du mensonge stratégique, dire le contraire de ce que l’on fait, de ce que l’on va faire, une arme tactique affirmait-on ; elles croyaient en la démocratie, elles s’y accrochaient comme à une bouée de sauvetage, l’ultime pour beaucoup. Elles pouvaient écarter par leur vote ceux qui nuisaient et ne s’en privaient pas, à chaque élection, mais, avec une étonnante amnésie, pour laisser la place “sans grande illusion” à d’autres, à ceux qui avaient précédé, et ainsi de suite, comme si ce fût inéluctable. La régression acceptée. Qu’en fût-il advenu autrement ? Avec la perfidie des saupoudrages de “privilèges”, petits et grands, aussi habilement distribués qu’âprement défendus, assez pour que chacun pensât avoir quelque chose à perdre, qui son allocation, qui son aide, son remboursement, soutien, secours, bonus, dégrèvement, déduction, exonération, subvention, défiscalisation, dispense, compensation, participation, remise, qui sa prime, son indemnisation, son dédouanement, sa niche, son incitation, son passe-droit, sa carte, sa note de frais, son chauffeur, qui mieux que ceux qui en profitaient le plus pour les leur préserver ? Qu’importait le cloaque du moment, l’illusion de sauvegarder subsistait !
Que de curiosité, que de tempérament fallait-il pour s’extraire de la résignation ambiante ! Que de courage aussi ! Et il y en eut. Assez pour s’étonner des manoeuvres, pour dénoncer les provocations, pour s’inquiéter des dangers. Rien de nouveau, leur objectait-on, toujours le même alarmisme ! Les mêmes peurs, comme pour la pollution, comme pour le climat. Des rabat-joies qui empoisonnaient la vie, semant la crainte, réduisant la confiance et la consommation, nuisant à la croissance et au pays. Négatifs à cent pour cent. Aucune proposition raisonnable.
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© Thélès, édité en janvier 2007, de Trevor Narg, 2053 LR REVEIL
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